Plaines d’été est une programmation culturelle à l’initiative de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France. Plaines d’été mobilise des équipes artistiques sur les places de marchés, dans les EHPAD, à l’orée d’une forêt ou en bordure de plage. Tous et toutes réalisent des impromptus durant plusieurs mois là où on ne les attendait pas. CARMEN a suivi ces instants saisissants de rencontre.
Sirène
nom féminin
(du latin sirena, du grec seirên)
La sirène incarne donc, dans un imaginaire écrit par des hommes en leur temps, la perniciosité de la femme. On lui prête volontiers pour ambition de mener l’homme à sa perte. D’être une vile tentatrice aux desseins funestes. Il s’agit bien là d’une énième supputation misandre ayant traversé les siècles.
Il y aurait bien Arielle, la petite sirène, pour faire remonter la côte de ces créatures maléfiques. Une naïve et inoffensive sirène. Amoureuse d’un humanoïde, elle troque sa queue de poisson pour une paire de gambettes. Elle sacrifie sa nature profonde, sa liberté, sa voix pour que lui soit permis de vivre auprès d’un homme. Docile comme tout, la petite sirène, elle a sombré dans la dépression sans broncher.
De nos jours, les sirènes se font discrètes. Peut-être également que leur nombre a baissé en raison de la pollution des océans et de la pêche à outrance. Toutefois, cet été 2023, une sirène a été aperçue à plusieurs reprises dans les Hauts-de-France. Elle a notamment fait une apparition vendredi 22 septembre 2023, dans la matinée puis en début de soirée, à Thézy-Glimont. De nombreux témoins peuvent en attester, photos à l’appui.
Tout d’abord interloqués par cette vision inhabituelle, ces spectateur·rices privilégié·es ont pris le temps d’observer ce personnage aquatique. Loin des idées reçues, cette sirène affiche un look sportif. Mi-footballeuse, mi-danseuse aquatique. Au travers de son sifflet, elle reproduit des bruits marins et ondule. Au sol, elle trace sa mare. Elle entame alors une chorégraphie rythmée et marquée de gestes répétés. Les spectateur·rices ne la quittent pas des yeux. Quelques clignements plus tard, la sirène a disparu.
Que s’est-il passé ? Les spectateur·rices n’en sont pas très sûr·es. Mais là n’est pas l’important. Iels ont vu quelque chose de différent.
« Le début, ça peut faire peur, » a exprimé une dame lorsque que la sirène et son acolyte – cette dernière était blessée et n’a pu danser ce jour-là – sont revenues vers le public pour échanger avec lui. « Après, c’est un art… mais c’est particulier. »
Julie Botet, la sirène en convalescence, a expliqué qu’il s’agissait d’une « créature mystérieuse. On ne sait pas d’où elle vient. Elle essaye de rentrer en communication avec vous et si ça se trouve, elle a autant peur que vous. »
Malgré l’inquiétude des adultes, les enfants ont adoré. « Je suis très contente d’avoir vu ça. Je n’ai jamais vu ça de ma vie ! » « J’ai pensé qu’il y avait de la pluie et qu’il y avait un tourbillon autour du lac. » « Le spectacle est un petit peu pas long. On dirait un court-métrage court. »
« Notre compagnie, Les Sapharides, travaille sur de thématiques féminines, ont confié Julie Botet et Mélanie Favre. Nous nous sommes demandé ce que serait être une sirène en 2023. Nous avons étudié les différents contes pour finalement imaginer une figure point levé, pleinement engagé dans son corps. C’est une créature hybride, très dans l’air du temps. Nous nous sommes inspirées d’Annette Kellermann et Esther Williams. »
Annette Kellermann, née à Sydney en 1886, a été une pionnière de la nage synchronisée. Féministe, elle a revendiqué le droit de disposer de son corps en contribuant au port du maillot de bain moderne et aux bienfaits de la pratique sportive pour les femmes. Esther Williams, quant à elle, née en 1921 en Californie, était une nageuse de compétition et une actrice. Ses films ont contribué à populariser la natation synchronisée.
« La sirène que nous avons imaginée n’est pas dans la séduction ni le charme. Elle peut surprendre avec son allure du coach sportive. Elle peut driver une armée, une équipe, elle est une figure forte. La mare tracée au sol symbolise la circularité, qui fait partie de nos gros piliers. Rester dans son cocon. Nous aimons cette mare qui change de forme à chaque fois. Nous avons voulu que cet impromptu soit un format court, allégé en scénographie, en comparaison de nos autres pièces. C’est un acte performatif. Nous souhaitons faire comprendre que des fois, il n’y a rien à comprendre. Cette créature est chargée d’une mission. Chacun est libre de trouver ou non. »
Texte et photographies : Gaëlle MARTIN
Date de diffusion : 29 septembre 2023
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