Plaines d’été est une programmation culturelle à l’initiative de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France. En 2022 et alors que la crise sanitaire gardait fermés les lieux de spectacle, Plaines d’été a mobilisé 55 équipes artistiques sur les places de marchés, dans les EHPAD, à l’orée d’une forêt ou en bordure de plage. Tous et toutes ont réalisé des impromptus durant plusieurs mois là où on ne les attendait pas. CARMEN a suivi ces instants saisissants de rencontre.
« Playtime » est un rendez-vous annuel, organisé par le centre culturel Jacques Tati, très apprécié des habitants du quartier Pierre Rollin. L’occasion de se retrouver, de savourer deux beaux après-midis ensemble, de partager des sourires, des soupirs, de parler ou non de ce qu’il s’est passé les mois précédents et surtout de se décontracter, confortablement installé dans une chaise longue en se délectant des différents spectacles et animations orchestrés par le centre culturel. Modelage, gravure, spectacle de marionnettes, batucada etc.
À cette occasion, le binôme Marc Duport et Christophe Giffard a livré une variation du domaine public. À savoir une intervention ayant pour but d’interpeller le spectateur, le promeneur mais surtout, l’habitant du quartier sur la façon dont les rénovations et transformations de leur environnement immédiat sont gérés. Sans que leur avis à eux, principaux concernés, ne soit pris en compte.
Hautain et méprisant, un personnage à l’allure du jeune cadre dynamique arrive devant les spectateurs. Il les ignore un moment avant de débiter son laïus tout fait sur une prétendue cité idéale. Celle dont tout un chacun pourrait rêver, selon leurs critères. L’homme sans vergogne manipule et tente de faire croire aux gens qu’ils sont consentants pour être pris pour des imbéciles. Que la médiocrité qui leur est offerte correspond à leur désir. Puis, de la même manière qu’il est venu, il s’en va sans un regard ni un mot.
Cette performance n’a pas pour but de divertir. Elle est là pour faire état de la violence et du mépris assenés aux habitants de ces logements sociaux que l’on gère sans considération. Une thématique malheureusement touchant de plein fouet le quartier Pierre Rollin et la raison pour laquelle Étienne Desjonquères a choisi de programmer cette variation.
Marc Duport et Christophe Giffard ont commencé à s’intéresser au sujet en 2020 lorsqu’ils ont pris connaissance du sort réservé à un quartier Lillois. Ils ont réalisé un documentaire intitulé « Derrière les arbres ». Ce documentaire de 25 minutes relate la manière dont les habitants ont simplement été informés, sans concertation ni ménagement, que leur quartier, leur écosystème, serait détruit. « Nous avons constaté à quel point c’était violent, exprime Marc Duport. Les habitants n’ont pas d’autre choix que de partir alors qu’ils n’ont rien demandé. Certaines personnes habitaient là-bas depuis 60 ans. En faisant ce documentaire, on voulait valoriser ce patrimoine. » Ils ont refusé de passer du baume sur le cœur des habitants pour mieux leur faire avaler sournoisement la pilule. « On s’est fait sucrer nos subventions mais au moins on reste droits dans nos bottes. »
Pour la performance à Amiens, le binôme Lillois est venu en observation au mois de juin. « Suivant où on est, on va essayer de remanier le texte le plus possible pour vraiment cibler. »
Cette performance n’a pas fait l’unanimité. Certains, comme Aurélie et Matthieu, n’ont pas apprécié l’absence de décalage entre la réalité et la représentation. Ils auraient également préféré quelque chose insufflant une envie de révolte et de réappropriation du pouvoir légitime de tout un chacun.
« Le but du spectacle était de questionner les gens pour savoir si c’est bien de reconstruire le quartier, exprime Soline, 11 ans. Enfin, c’est ce que maman m’a dit. Moi j’ai pas trop compris… Dans le quartier, ils veulent détruire les deux immeubles juste là et faire une route. Je trouve ça dangereux parce que c’est là qu’on joue. »
À ses côtés, Cécile, sa maman, la laisse parler avant d’enchaîner. « Ces deux bâtiments vont être détruits en automne. Ils sont vides. » Mais les habitants du quartier ne savent toujours pas ce qu’il y aura à la place. Lorsque la supérette ayant l’enseigne Auchan a soumis son envie de s’agrandir, de faire faire une route sous cet enchevêtrement qu’est le quartier, ce qui serait conséquent dans le dessin du paysage final, ce fut accepté par la municipalité. Les désirs de ce groupe privé ont été validés alors que les habitants n’ont pas été sondés. Finalement, Auchan a changé d’avis et depuis, rien. Rien n’est fait non plus de cet océan de fenêtres neuves simplement laissées à l’abandon sur les places de parking depuis des mois et des mois.
« J’ai habité 10 ans dans l’immeuble juste à côte des deux qui vont être détruits, poursuit Cécile. J’ai acheté une maison un peu plus loin parce que j’aime bien ce quartier. J’y trouve tout ce dont j’ai besoin. Le spectacle proposé cet après-midi jette un froid. Il montre qu’il ne faut pas se laisser complètement manger et être acteur. »
Nicolas, 30 ans, a beaucoup aimé ce spectacle. « C’était vachement cool ! J’aime bien les trucs pendant lesquels on ne pratique pas la langue de bois. C’est malheureusement de plus en plus la cas pourtant. Il n’a pas fait beaucoup plus que ce qu’ils nous font. C’est à la fois éducatif et rigolo. C’est bien que le quartier soit réhabilité mais il faut que l’avis des gens soit pris en compte. »
Texte et photographies : Gaëlle MARTIN
Date de diffusion : 1 août 2022
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