Plaines d’été est une programmation culturelle à l’initiative de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France. Plaines d’été mobilise des équipes artistiques sur les places de marchés, dans les EHPAD, à l’orée d’une forêt ou en bordure de plage. Tous et toutes réalisent des impromptus durant plusieurs mois là où on ne les attendait pas. CARMEN a suivi ces instants saisissants de rencontre.
Une femme vêtue de bleu est assise sur la plage, genoux rapprochés, yeux fermés. Elle ne regarde pas la mer, ne lui tourne pas le dos non plus. Sous l’affiche dessinée par Marine de Francqueville, un bandeau : La Caresse du loup – Espace Jacques Prévert, 15 septembre, 19h00.
Un petit groupe de personnes, de plus de 13 ans – c’était la consigne – est venu pour découvrir Isabelle Richard à la lecture et Valentin de Francqueville au violoncelle interpréter « La caresse du loup » d’après le roman de Catherine Robert. Au milieu des œuvres de Tony Soulié, on distingue un espace léger et éphémère de trois mètres sur deux, deux chaises, deux pupitres. Il y aurait pu y avoir un petit dispositif lumière mais ici, i·elles ne l’ont pas sorti, ce n’est pas nécessaire.
Aujourd’hui, c’est vendredi et il est 19h10.
Dans la lumière des grandes baies vitrées de la médiathèque, Valentin introduit l’impromptu par quelques traits d’archet. Isabelle se lève, approche le pupitre et c’est l’envolée. Ses mots pétillent en entrant dans l’univers de Chloé, Clara, leurs parents, leur quotidien, l’été, la mer, les vacances, un anniversaire.
Dans la lumière des grandes baies vitrées de la médiathèque, réservée pour l’occasion à notre petit comité, les mots d’Isabelle se bousculent, s’assombrissent rapidement, se tendent et claquent. Quelques minutes que le public s’est installé dans son fauteuil et le décor est posé. C’est d’agression sexuelle dont on nous parle. Chloé a huit ans. L’homme est un ami proche, un violoniste talentueux, invité dans la maison de vacances. En commettant cette agression, il détruit l’enfance et l’innocence de Chloé qui se mure dans le silence.
« Nous cherchions un texte pendant le confinement en 2020, nous avions besoin de remettre du sens. On a beaucoup lu. On n’allait pas raconter n’importe quoi, on cherchait un sujet de société. On cherchait aussi un texte suffisamment scénarisé pour en faire quelque chose de théâtral. Dans le contenu de ce texte, on a aimé le traitement « juste » du sujet, on assiste à une vraie reconstruction, on assiste à tous les différents rouages, toutes les petites étapes qui peuvent même paraître anodines. »
Dans la lumière des grandes baies vitrées de la médiathèque, des gens poussant une poussette passent sur le trottoir, en face des hommes chargent un camion – c’est pour le tournage avec Benoît Poelvoorde dans le quartier en ce moment, un goéland bruyant survole le pâté de maisons, au loin, on devine la répétition de l’harmonie municipale. Mais dans la lumière des grandes baies vitrées de la médiathèque, toutes et tous restons suspendu·es aux mots d’Isabelle, aux cordes de Valentin et à la vie de Chloé.
« Le but c’est de prendre les gens. Nous avons dû baliser les choses pour chaque lieu où nous avons joué et chaque public rencontré. Ce n’est pas du clown, le texte de Catherine Robert, l’histoire de Chloé est dure – mais parler n’est pas violent. Et nous sommes vraiment heureux que l’art puisse traiter aussi de ce genre de sujet et que ce ne soit pas réservé aux médias. »
Une heure après, fin de la lecture musicale.
Mais tout le monde reste vissé sur son fauteuil.
« Bouleversant » entend-t-on timidement dans la petite assemblée.
Vincent, un monsieur du premier rang poursuit : « Cette histoire me bouleverse, je suis bouleversé, police – justice / justice – police, la pédophilie, c’est terrible, c’est une enfant de 8 ans ! Je suis pas d’accord, je défends l’enfant. » Tout le monde acquiesce. « Vous faîtes avancer les choses » dit un autre spectateur.
Isabelle explique : « Parfois, pour cette lecture, un·e thérapeute est présent·e à nos côtés, mais il faudrait également un·e professionnel·le de la justice. » Les échanges vont bon train sur le fond comme sur la forme. Valentin ajoute : « Ce soir, vous avez entendu trois auteurs au violoncelle, Ligeti, Sollima et Bach, et des improvisations pour les respirations du texte. »
Le samedi suivant, Isabelle et Valentin finiront leur tournée « Plaines d’été » à Bray-sur-Somme et l’autrice leur rendra visite à cette occasion. « Nous avons hâte de la rencontrer et d’avoir son point de vue sur l’adaptation que nous avons fait de son roman » confie Valentin au public.
« Ah bah , c’est bien, bravo ! » reprend Vincent « incroyable, on suit cette femme de ses 8 ans à ses 43 ans, c’est pas rien, la vie passe. C’est quand même pas une mince affaire ! »
On range les chaises, se salue et quitte le médiathèque dans un silence méditatif.
Texte et photographies : Clémence BOULFROY
Date de diffusion : 25 septembre 2023
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