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Retour à Montjavoult

Pour cette nouvelle saison de la Caravane des médias, nous revenons, un an plus tard, sur la place verdoyante du village de Montjavoult. Encore une fois, un groupe se forme à l’ombre des arbres et la discussion sur les usages médiatiques de chacun commence. 

Petit tour de présentation des protagonistes : Mylène, habitante de Montjavoult depuis six ans, Nelly et Geneviève, deux randonneuses du Val d’Oise venues arpenter les chemins du Vexin, Abygaëlle, 9 ans et demi, Abel, 11 ans et leur père Michaël, eux aussi habitants de Montjavoult, Laura, mairesse de la commune et Michel, artiste peintre installé au village depuis 24 ans. 

Les profils dans leur consommation de l’information sont divers. Mylène tout d’abord, reconnaît peu s’informer par l’intermédiaire des médias. Seule exception à la règle, son abonnement récent à Mediapart, « j’en ai eu ras le bol des informations classiques. Je trouve que depuis Sarkozy, beaucoup de grands patrons sont à la tête des médias, qui se mettent donc à arrondir les angles, ne pas vouloir froisser le pouvoir politique ou économique. Et c’est dangereux », raconte-t-elle. Alors elle donne désormais chaque mois quelques euros au pureplayer d’Edwy Plenel.  Une manière pour elle « d’aider les journalistes indépendants qui écrivent des articles dont je peux lire le contenu en toute confiance ».

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

Pour le reste, Mylène est beaucoup « dans l’oralité. » Elle évoque avec ses ami·e·s les sujets qui font l’actualité, se nourrit de leurs réflexions sur le sujet et quand sa curiosité est piquée, elle va faire quelques recherches sur internet. « Parfois je traverse aussi des phases où je ne m’informe plus du tout. Les infos font peur et parfois ça fait du bien de lâcher ça. »

Une déconnexion passagère prônée aussi par Nelly, notamment en ces temps de pandémie. « Je coupe ma télévision de temps en temps. On se trouve pris dans les informations, on devient presque accroc, avec un besoin de tout connaître. C’est anxiogène. Surtout sur BFM ou CNews où tout tourne en boucle. » Des chaînes porteuses d’angoisses mais qui restent toutefois un des principaux canaux d’information de leurs détracteurs. 

Au fil des discussions dans les divers territoires que nous avons traversés avec la caravane, nous avons pu constater que le traitement médiatique du Covid a laissé des traces chez les différentes personnes rencontrées : ras le bol des chaînes d’informations en continu, méfiance voire défiance envers l’indépendance des journalistes avec le pouvoir, doute dans la véracité de l’information… 

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

« Il y a beaucoup trop d’informations, c’est rébarbatif, je ne regarde plus la télévision depuis deux ans », confie Michaël, qui s’informe principalement en lisant 20 minutes sur le chemin du travail. « Avec le Covid, il y a des choses qui passent à l’as. Les journalistes ne font pas de place au reste alors qu’il doit bien continuer à se passer des choses importantes par ailleurs », poursuit-il.

Michel, écoute quotidiennement la matinale de France Inter et allume de temps en temps son poste de télévision. Exclusivement sur France 2 « TF1, c’est commercial et CNews c’est raciste comme c’est pas permis. Et j’ai l’impression que la vérité se trouve plus sur la Deux que sur ces chaînes en continu. En plus à chaque fois que j’ouvre CNews, il y a la tête de l’autre abruti qui apparaît, j’ai quand même pas de chance ! Et puis c’est quand même très dangereux, j’ai 72 ans, mon temps est passé, mais il doit plaire à certaines personnes. » 

« L’autre abruti », c’est Pascal Praud. Présentateur devenu emblématique de CNews, qui officie aussi sur RTL, l’homme divise, même au sein de notre petit groupe de discussion. S’il est infréquentable pour certain·e·s, pour d’autres, Pascal Praud a le mérite « de dire les choses clairement. Il donne son avis et au moins c’est clair » estime par exemple Nelly. Un avis partagé par Geneviève qui l’écoute, elle, sur RTL « Je l’écoute parce que c’est varié. On ne passe pas 3 heures sur un sujet. Et puis c’est quelqu’un qui écoute tout le monde, qui a l’air de ne dépendre de personne. »

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

L’indépendance des journalistes est aussi une problématique qui questionne beaucoup le petit groupe de Montjovisiens, comme le verbalise Nelly « Est-ce que les journalistes peuvent dire ce qu’ils veulent, ça je ne sais pas. Peut-être qu’ils reçoivent des ordres d’en haut » En haut ? « La direction du journal, le gouvernement, l’État » précise-t-elle. On évoque donc les questions d’indépendance des médias, de ligne éditoriale, évoquons également l’existence du syndicat national des journalistes. 

Une défiance, mais aussi une méconnaissance de la profession du journaliste qui pousse bien souvent les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs à mettre en doute tout ce qui peut venir des canaux d’informations traditionnels : « Depuis quelques temps, je regarde beaucoup plus les sources, histoire de savoir qui m’informe », indique Mylène. Nelly quant à elle, explique « cultiver le doute » : elle multiplie les sources d’informations, télévisuelles, radiophoniques, quelques articles glanés sur les réseaux sociaux, et finit par ne considérer comme véridiques que celles qui réapparaissent plusieurs fois sur différents supports. Même démarche pour Laura, « Je regarde un peu les infos sur 28 minutes, sur Facebook, dans Télérama et un journal militant. Ensuite, je recoupe. »

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

Mais comment alors être certain·e·s de ne pas recouper les informations par l’intermédiaire du biais de confirmation ? Ce biais cognitif qui consiste à privilégier les informations qui confirme nos propres idées préconçues ou hypothèses, tout en laissant de côté celles qui vont à l’encontre de nos croyances. 

On remarque donc que malgré leurs consommations médiatiques très différentes, parfois même à l’opposé sur le spectre politique, ce petit groupe partage unanimement une défiance envers les médias, quels qu’ils soient. Une lectrice d’un pure player indépendant et une téléspectatrice d’une chaîne condamnée en mars 2021 par le CSA pour « incitation à la haine » et « à la violence » suite aux propos d’un de ses éditorialistes se retrouvent sur cette problématique : je ne suis pas certain·e·s que les informations qui me parviennent soient viables.

Et les jeunes dans tout ça ? Abygaëlle et Abel s’informent notamment à l’école, grâce à Mon quotidien « Mais il faut finir les devoirs d’abord ». Leurs sujets de prédilection ? Les volcans et la pollution pour Abygaëlle, le Vendée Globe et les animaux pour Abel. Des sujets qu’ils creusent essentiellement sur le journal papier, « nos parents nous disent de ne pas trop regarder la télévision car c’est un peu violent les images », précise Abygaëlle. S’ils aiment plutôt bien lire Mon quotidien, ils reconnaissent toutefois que certains mots employés sont parfois difficiles à comprendre « Parfois je vais chercher dans le dictionnaire, parfois non », reconnaît Abel. 

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

Dernière question posée au groupe alors que la cloche de l’église vient de sonner 16h : « Avez vous l’impression que vos territoires sont correctement représentés dans les médias ? » Pour Mylène, c’est clair : « Quand je regarde la télévision, j’ai l’impression de vivre sur le territoire de Marine Le Pen. » « Mis à part dans les journaux locaux, on ne parle pas trop de nous » précise Nelly. « On ne parle de nous que lorsqu’il se passe des choses affreuses », complète la mairesse, « on ne sait pas assez qu’il se passe plein de choses par chez nous. Qu’il y a un monde associatif très actif », poursuit-elle.

Certes, il y a bien eu Jean-Pierre Pernault et son JT très axé sur le terroir mais cela ne fait que perpétuer, selon Michaël, une vision stéréotypée de la ruralité « Les reportages sont beaux, ça fait rêver les gens mais ça ne fait pas avancer les choses. Quand on vit dans un village, il n’y a pas que les petits artisans ou les jolies boutiques. Il faut comprendre que l’on a besoin d’une voiture, qu’il n’y a parfois pas de bons services de transport. Que l’on ne peut pas avoir les mêmes facilités à la campagne qu’à la ville et qu’un coq et qu’un clocher d’église ça fait du bruit ! »

Un après-midi à Montjavoult © Simon Lambert

« C’est à nous de montrer qu’il y a de la vie dans nos villages. Que nous faisons l’actualité culturelle. Il faut agir en organisant des manifestations culturelles ou commerçantes » conclut Laura. « Après il faut trouver comment contacter les journalistes. Cela fonctionne au fil des années. Il faut du temps pour qu’ils viennent, il faut faire nos preuves. » 

De quoi sera faite l’information après cette crise sanitaire ? Silence. Mylène tente une réponse qui semble trouver écho auprès du groupe : « Ils vont se forcer un peu et ils vont bien trouver quelque chose : les manifestations, les élections ? On verra bien. » Alors, rendez-vous dans un an Montjavoult ? 

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