C’est à vous la caravane là-bas ? » Alors que l’on s’apprête à quitter Le bistrot, Patrick nous arrête, curieux. Effectivement, la caravane stationnée devant la basilique Notre-Dame de Brebières, c’est à nous et on vient de passer la matinée à discuter avec les albertin·e·s de leur rapport aux médias. On lui raconte le projet et de fil en aiguille on découvre que Patrick, dans la vie de la commune, ça n’est pas n’importe qui. Et que la presse locale, ça le connaît. On vous explique.
L’histoire de Patrick, elle commence avec son nom de famille : Vaillant. La famille Vaillant, à Albert, c’est le bar des sports puis, dans les années 1960, la librairie et l’imprimerie. « C’était la belle époque du commerce. Les gens venaient acheter des livres et à chaque rentrée scolaire, c’était la queue sur le trottoir pour les fournitures. » À la tête de la boutique, ses grands-parents, bientôt remplacés par son père. À l’époque, la famille est aussi le distributeur du Courrier Picard sur un secteur de 20 km à la ronde. « Les journaux arrivaient devant la librairie chargés dans une 2 CV à 5 heures du matin. Il y avait plus de 20 porteurs qui étaient chargés de les acheminer dans les points de vente et dans les boîtes aux lettres des abonnés avant 7 heures du matin », raconte Patrick, son chien Batman 3 allongé à ses pieds « J’ai aussi des souvenirs des grands repas de fin d’année avec le personnel du Courrier et les gens de ma famille. C’était incroyable. »
Il y a quinze ans, son père part à la retraite et c’est à son tour de prendre les rênes de l’affaire. Mais la crise de la presse se fait sentir. Internet arrive peu à peu. Les tirages tendent à la baisse et le nombre de porteurs diminue. « Je me chargeais des points fixes comme la maison de la presse ou Intermarché et cinq porteurs s’occupaient des particuliers. » Une mécanique bien rodée qui s’arrête brusquement en 2009, lorsque la Voix du Nord rachète le Courrier Picard. Les journaux sont imprimés sur les rotatives de la Voix et la distribution est confiée à des sociétés privées. « C’était du boulot, il fallait se lever tôt, c’était 7 jours sur 7 mais ça faisait du chiffre. Perdre la distribution, c’est un sacré manque à gagner pour notre entreprise. »
Patrick et le Courrier Picard, c’est donc une histoire de famille. Ce canard, il l’a vu évoluer, a côtoyé ses journalistes. « À l’époque les localiers connaissaient tout le monde, ça se sentait vachement dans les articles. C’étaient des gens du coin, les personnes avaient donc plus de facilités à se confier à eux. Ils étaient reconnus, on leur faisait confiance », détaille Patrick. « Aujourd’hui, ils changent plus régulièrement et comme ils ne sont pas tous d’ici, les gens se méfient un peu plus. »
Mais si les Vaillant ne sont plus distributeurs de journaux, l’aventure n’est pas terminée pour autant. Il y a quelques mois, Patrick a lancé avec un acolyte son propre journal, qu’il imprime à environ 7 000 exemplaires chaque trimestre : Le commerce illustré. « On y parle de l’ancien temps, de l’histoire du coin, de celle des commerces. On a commencé avec 12 pages et ça a tellement marché qu’on a augmenté à 24. La publicité nous permet au moins d’amortir l’impression », explique Patrick. « Je retrouve un peu avec Le commerce illustré la convivialité qu’il y avait auparavant du temps de mes parents et de mes grands parents. »
Sophie Bourlet, Clémence Leleu & Timothée Vinchon