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Amiens Métropole (80)

« La télé participative, ça a permis à plein de jeunes de s’ouvrir sur les autres et sur le monde »

Yassine Mokkadem est le président de Mélodie en sous-sol. Observateur invétéré des mutations d’Amiens Nord, il est convaincu que les associations culturelles et la télé participative ont créé une solidarité sans pareille, bien loin de l’image délétère que les médias lui ont collé.

Salut Yassine, merci de nous recevoir au studio de Mélodie en sous-sol. Tu peux nous raconter un peu ce que c’est ? 

Mélodie, ça s’est monté en 1984, à l’époque où tout était un peu “rock&roll” et où des tonnes de projets culturels ont émergé. Je ne suis pas musicien, mais la musique pour moi c’est la base de tout et quand on avait 17 ou 18 ans, on s’est amusé avec des copains à vouloir monter un petit groupe dans le quartier. De fil en aiguille, on nous a proposé de jouer en live, puis on nous a dit qu’un local était disponible. Aujourd’hui Mélodie en sous-sol, ce sont des ateliers musicaux – piano, guitare, guitare basse, batterie et chant – pour tous les enfants. L’adhésion, c’est 15 euros l’année pour que n’importe qui puisse venir. On a aussi des tas de groupes, de jeunes et de plus vieux qui viennent répéter. Ça fait 40 ans qu’on est là et pour moi c’est impératif qu’il y ait de la transmission entre génération et de la mixité sociale. 

En même temps que Mélodie en sous-sol, un autre acteur est arrivé dans le quartier en 1984 : Canal Nord (l’émission de Carmen, ndlr). Qu’ont apporté ces curieux travailleurs sociaux – Geneviève et Claude Bury – qui voulaient faire de la télé participative un outil de médiation sociale ? 

Canal Nord s’est fait le porte voix de ceux que l’on n’écoute pas, mais a surtout créé un lien incroyable entre tous les habitant·es et les associations culturelles. Carmen avait ses studios en plein cœur du quartier du Pigeonnier. Il faut imaginer qu’à l’époque, t’avais trois chaînes et c’est tout. C’était pas aussi facile de faire un plateau télé et encore moins de diffuser. Mais Claude et Geneviève allaient dans chaque appartement, branchaient la télé sur le bon canal VHF.  Ils étaient accueillis avec énormément de sympathie et de fraternité. D’un coup, c’était incroyable, les gens pouvaient se voir à la télévision, et voir tout ce qui se passait autour de chez eux : les fêtes de quartier, les animations des jeunes, etc. Et puis il y avait des plateaux télé où on pouvait discuter sérieusement des enjeux locaux. On a eu des émissions où le maire était invité. Il se faisait allumer au téléphone, mais il était obligé de répondre aux questions en direct. 

Au-delà de se voir à l’écran, est-ce que ça fait bouger les choses pour les habitant·es du quartier ?

La télé participative, ça a permis à plein de jeunes de s’ouvrir sur les autres et sur le monde. Dans un quartier de 25 000 personnes, mine de rien, tu as vite fait d’être isolé. Là, on organisait tellement de choses que ça permettait à plein de jeunes de sortir : imaginez, on a fait des concerts ou même un défilé de mode sur le toit d’un immeuble. Mieux encore, on a eu des tonnes de personnes qui sont sorties du quartier ou ont construit de sacrés projets et je pense que Canal Nord n’y est pas pour rien. Participer à une télé, ça t’apprend à prendre la parole, à parler à des gens à qui tu n’aurais pas imaginé parler. On a des présentatrices télé qui viennent d’ici, on a des journalistes, mais surtout des personnes qui ont compris qu’il fallait qu’ils s’intègrent dans tous les espaces où ils pouvaient pour faire bouger les lignes de l’intérieur. 

« Il pouvait y avoir Rocky Balboa sur sur la première chaîne, les habitant·es n’en avaient rien à foutre, ils étaient scotchés devant Canal Nord parce que c’était leur quotidien. »

Yassine Mokkadem
Canal Nord se différenciait dans le traitement médiatique du quartier par rapport aux médias plus mainstream. Le positionnement de ces derniers vis-à-vis d’Amiens Nord a-t-il évolué depuis ?

A l’époque, le quartier était très mal vu dans les médias. Je me rappelle que le Courrier Picard avait écrit que vouloir faire un événement festif à Amiens Nord, c’était preuve de “déficience mentale”. Oui, ils écrivaient ce genre de choses. Le racisme était très présent à l’époque, la loi de 2001 sur les discriminations n’existait pas et il y avait une vraie violence physique. Bizarrement, j’ai l’impression cependant que c’est encore pire maintenant parce que la violence elle est verbale et se normalise. Partout à la télé, partout sur les plateaux, tu entends des discours racistes et personne ne s’offusque. 

Ce qui est assez étonnant quand même avec les médias, c’est qu’en 40 ans ils n’ont rien appris. Ils ne s’intéressent pas réellement aux habitants, mais uniquement à ce qui va “se vendre” : la drogue, les armes, la violence, etc. Mélodie en sous-sol, ça fait 40 ans que ça existe, mais on n’a presque jamais eu de reportage sur nous. Mais quand le quartier part en cacahuète, mon téléphone sonne non-stop. C’est dommage, parce qu’il se passe des tonnes de trucs géniaux par ici dont il faudrait parler : prenez par exemple Eco-cité, qui promeut l’écologie auprès des enfants en les emmenant dans les jardins-ouvriers et en installant des ruches. C’est de ça qu’il faut parler !

 

Timothée Vinchon, Sophie Bourlet et Clémence Leleu

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