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Pays du Coquelicot (80)

Dans les petits commerces, l’info qu’on discute

Les informations, c’est le plus souvent par l’intermédiaire des médias qu’elles nous parviennent. Pourtant, elles circulent aussi par d’autres canaux, plus informels, notamment chez les petits commerçants.

Nous avons donc installé notre caravane au centre-ville de Bray-sur-Somme pour aller à la rencontre de Laure, Sylvie, Aurélie et Laurent. Ils nous ont raconté les confidences reçues, les discussions parfois houleuses entre clients, les arbitrages concernant les dépenses du foyer de plus en plus nombreux et puis le village qui change, lui aussi. 

Sylvie et Aurélie, « Les gens ont besoin de parler, ils ont besoin qu’on s’occupe d’eux »

À deux pas de la mairie se trouve L’Ornatrix, le salon de coiffure de Sylvie. Depuis 17 ans, elle y voit défiler les crinières des habitants de Bray. Dans son salon, entre les coupes et les couleurs, les clients s’épanchent, racontent leurs soucis, heureux de trouver une oreille attentive. « Les gens se confient beaucoup, surtout le lundi parce que je suis la seule ouverte. Ils passent la porte, pour discuter un peu, même s’ils ne se font pas couper les cheveux », explique la coiffeuse alors que les mèches de sa cliente sont en train de prendre sous le papier aluminium. 

Le sujet qui est sur toutes les lèvres en ce moment c’est l’augmentation des prix, qui contraint les gens à devoir faire des économies. « Avec les fêtes qui arrivent, tout le monde fait encore plus attention », raconte Sylvie. « Les gens vont attendre Noël pour se faire coiffer, se faire une couleur ou des mèches. C’est fini les gens qui viennent tous les mois. » L’inflation n’épargne pas non plus la coiffeuse qui a vu ses factures augmenter. « Je n’ai pas encore répercuté la hausse sur les tarifs. Je finirai sans doute par le faire car il est hors de question pour moi de baisser en gamme au niveau des produits pour les colorations. » 

Sylvie travaille au quotidien avec Aurélie, esthéticienne. À part « les messieurs d’un certain âge » qui s’intéressent à l’actualité, le duo est unanime : « Les gens nous disent qu’ils n’écoutent plus vraiment les infos. Ils nous saoulent les journalistes, ils en font vraiment trop sur certains sujets. » Le Covid a été sur toutes les lèvres, chassé désormais par les hausses des prix et les pénuries. « La guerre en Ukraine, les gens en parlent, mais c’est loin d’eux. Ils parlent surtout de ce qui les touchent tous les jours. »

Laurent « L’échange entre les gens est de plus en plus compliqué »

Alors que l’on pénètre dans le bar PMU Le Longchamp, Bashung, perfecto et pantalon de cuir, lunette Aviator sur le nez, se déhanche sur Gaby oh Gaby sur le grand écran accroché au mur. À la télé, aucun bandeau défilant ni débats entre éditorialistes. L’après-midi, Laurent, le propriétaire du bar met RFM TV lorsqu’aucune course hippique n’est retransmise. « On met les infos le matin seulement. Je mets LCI, pas BFM, disons que c’est un peu plus soft », explique le patron de l’établissement. Le soft, le mesuré, la tempérance, Laurent les a vu disparaître dans son bar en même temps que sur les plateaux de télé. Selon Laurent, « l’échange entre les gens, c’est de plus en plus compliqué. C’est ferme, directif. Les avis sont obtus. C’est difficile de ramener les gens à plus de raison, de demander plus d’objectivité. » Alors lorsque des clients commencent à parler politique, il essaie de faire glisser la conversation vers un autre sujet, de « ménager la chèvre et le chou. »

Cela va faire 15 ans qu’ils ont repris le PMU avec sa femme. Ouverts 365 jours par an, ils ont dû ajouter quelques cordes à leur arc pour compenser les fermetures des commerces du village au fil des années. En plus du bar et du PMU, ils font également tabac, presse, et vendent des articles de pêche. Un oeil aux environs du bar et l’on peut effectivement constater que les boutiques ferment les unes après les autres : une des boulangeries a fermé, un restaurant n’a pas trouvé de repreneur, le bureau de Poste a fermé lui aussi, tout comme la boucherie charcuterie qui se concentre désormais sur des évènements et des activités de traiteur privé.

« Il y avait un temps où il y avait des dizaines de cafés à Bray », regrette Laurent. Le village profite tout de même du tourisme mémoriel de la Grande Guerre et de la visite de quelques pêcheurs et campeurs, même si le classement Natura 2000 de la zone a fait baisser leur nombre. « Les touristes, la saisonnalité, permettent de voir de nouvelle tête, de mettre de l’oxygène dans les conversations. Et puis on a aussi les habitués. Tout ça mis bout à bout, ça fait qu’on est toujours là ! »

Laure, « T’es pas toujours d’accord mais si elle dit noir tu dis noir, si elle dit blanc, tu dis blanc. »

Si à Bray certains commerces ferment leurs portes, cela ne concerne pas un corps de métier : les coiffeuses ! Dans le village, il y en a trois. Laure est installée depuis 6 ans rue Pierre Curie. Pendant les coupes ou les couleurs, les client·e·s s’épanchent surtout sur leurs histoires personnelles, « la maladie, principalement ». Côté infos, ce sont surtout les grands sujets d’actu. « On se rend compte que les gens sont moins angoissés avec le Covid, ils n’en parlent presque plus. En revanche, ils parlent beaucoup des augmentations des prix. Même si ceux qui viennent chez le coiffeur ont quand même plus de moyens, puisqu’ils peuvent se le permettre », détaille Laure. Et puis il y a aussi l’actualité nationale qui vient se concrétiser matériellement dans le quotidien de ses habitués. Comme ce client qui a accueilli pendant six mois deux familles ukrainiennes, qui sont d’ailleurs passées sous les ciseaux de Laure. « On fait des petits gestes pour eux, pour les aider. Là c’est sûr qu’on était dans le vif du sujet ! »

Mais comment fait-on quand on coupe les cheveux de quelqu’un avec qui on est absolument pas en accord ? « C’est le don du commerce ça ! », lance Laure, « t’es pas toujours d’accord mais si elle dit noir tu dis noir, si elle dit blanc, tu dis blanc. Après je pense ce que je veux derrière mais je ne vais pas contredire mes clients ! » Une technique à l’inverse de celle de Katia, l’ancienne propriétaire du salon. « Elle, elle est cash ! ». « Elle tourne pas autour », glisse une cliente qui nous entendait discuter. Et puis bien sûr, il y a les silencieux, ceux qui ne disent pas un mot, ni personnel ni d’actualité. « Ceux-là on les repère. Ils prennent une pile de magazines, ils la posent devant eux, ils en prennent un, se plongent dedans et là on sait qu’on ne les entendra pas tout du long ! »

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