Au loin, les baffles de la fête foraine de Chaumont-en-Vexin ont basculé sur Tout le bonheur du monde de Sinsemilia. Au milieu du parking de la Foulerie, ça discute et ça rigole fort. Les plus âgés installés sur des chaises de pêcheur d’une marque bien connue d’articles de sport, dans l’herbe à côté de leurs vélos pour les plus jeunes. Dans la petite troupe, Benjamin, 21 ans, et Brandon, 22 ans, font office de grands frères. « C‘est triste, mais Chaumont, c’est de plus en plus pété », balance le premier en nous accueillant dans le cercle. « Faut quand même imaginer qu’ils ont annulé le feu d’artifice du 14 juillet », renchérit son acolyte.
La clique est originale. À côté de ces « grands » qui causent voitures et bêtises, des gamins d’une dizaine d’années. « On les garde, ils restent avec nous, au moins ils ne font pas de bêtises » se désole Brandon, casquette vissée sur la tête. Grégory, 15 ans, ne se laisse pas marcher dessus : « c’est plutôt moi qui te garde , t’arrives même pas à te garder tout seul ! » Mais l’ancien nous précise sa pensée : à part trainer avec les grands frères, il n’y a pas grand chose à faire. « Maintenant qu’on a grandi, on le voit. »
Depuis quelques années, Chaumont aurait selon lui un peu oublié ses jeunes. « Avant il y avait la maison des jeunes, pour les pré-ados et ados, on va dire de 12 à 22 ans. Tous les jeunes des environs se retrouvaient là-bas. » raconte Brandon. En effet, à une petite centaine de mètres, gît le bâtiment, tristement désaffecté. Plus aux normes ou manque d’animateurs, on ne sait plus vraiment parmi les jeunes la raison officielle ce qui a provoqué sa fermeture. Des étoiles dans les yeux, il se remémore ses années d’adolescent dans les lieux. « Il y avait tout là-bas. Un billard, un babyfoot, des vélos, parfois on ramenait des consoles… » Il y a rencontré ses amis d’aujourd’hui. « Tous les jeunes des alentours, Delincourt, Boubiers, Liancourt, Jaméricourt… Tout le monde se retrouvait ici », explique-t-il en accueillant de nouvelles têtes qui reviennent de la pêche. La conversation embraye sur les bolides. Quels tubes inox, quel coude à 90 en 63-5 pour remplacer le silencieux de la 206 du pêcheur, etc.
« Aujourd’hui, il y a plus aucune activité ici. On est obligé d’en créer nous-même. » Parfois, c’est malin et louable. Comme cette fois-là où les grands avaient improvisé une piscine grâce à une bouche d’égout afin que les plus jeunes ne se risquent pas à sauter dans la rivière. D’autres fois, un peu moins. Il étale alors son palmarès de conneries. « T’es jeune, donc t’improvises. Il faut bien mettre un peu d’ambiance et c’est pas toujours de bonnes idées. »
« « Aujourd’hui, il y a plus aucune activité ici. On est obligé d’en créer nous-même. »
Brandon, 22 ans, à Chaumont-en-Vexin.
Si les loisirs officiels leur semblent portés disparus à Chaumont, le travail ne les a pas remplacé. Il y a bien la pâtisserie industrielle Lemarié qui embauche parfois des saisonniers. « C’est pas passionnant, et la paie l’est encore moins. », maugréé Benjamin. A force de squatter à deux pas de leurs caravanes, la bande a sympathisé avec les forains. L’été, pour tromper l’ennui, ils les aident à monter et démonter les attractions dans les patelins des alentours. Ils sont devenus amis. « Tous les gens sur cette place sont mal vus. Ils voient des jeunes qui traînent et disent « ça y est Chaumont devient un quartier ». Les forains, quand ils sont arrivés, il y a une voiture qui a brûlé pas loin. Ils ont été accusés direct. Ils viennent depuis 40 ans, qu’est-ce qu’ils iraient faire une connerie pareille ? »
Est-ce que pour autant ils envisagent de quitter la bourgade, voir si l’herbe est plus verte ailleurs ? « Combien de fois j’ai entendu des « moi franchement je me casse cet été » ? Combien de fois me le suis-je dit moi-même ?, soupire-t-il, l’année d’après on était toujours là. » Il concède que quelques potes ont désertés, vers la région parisienne ou dans le nord de la France. À force de les entendre parler de départs vers d’autres horizons, Grégory, le « petit », s’inquiète. « Franchement, si vous partez, ça va être vraiment chiant. » Brandon le sermonne. Il s’est retrouvé dans la même situation quand ses « grands » à lui sont partis. « C’est vous la relève, va falloir assurer à votre tour. » Mais Grégory ne compte pas marcher sur leurs traces. Il rentre l’année prochaine en seconde commerce, et nous conte déjà son avenir, en mimant les billets qui pleuvent. « Moi, je vais tracer. Je vais faire un BTS Vente à Amiens. Si je reviens ici, ce sera avec de quoi bien vivre. »
Clémence Leleu, Timothée Vinchon et Simon Lambert.