La caravane s’installe à des endroits stratégiques au cœur des villes et villages. À Albert, bourgade de 9 931 âmes au nord-est d’Amiens, la capitale départementale, trouver où nous stationner dans le centre n’est pas chose aisée. L’objectif : se mettre à un emplacement passant, où l’on peut s’asseoir et discuter, le tout à proximité des commerces. La place d’armes est de ces carrefours où les albertines et albertins se croisent et se saluent entre deux courses. Si « l’hyper » à l’est de la ville a aspiré pas mal de chalands, on retrouve devant la basilique le coiffeur « Tchip », plusieurs bistrots et même la maison de la presse. Quoi de mieux pour interroger les habitants sur leur rapport aux médias et la fatigue informationnelle ?
Des bonnes nouvelles du quotidien
Alors que nous décorons notre attelage et posons quelques chaises, Franck, riverain de 48 ans, nous interpelle : « Vous bossez pour quel journal ? » On lui explique alors notre statut d’indépendants et notre mission sur le territoire du coquelicot. « Moi, je lis le Monde, le Courrier Picard… J’adore savoir ce qui se passe chez moi et dans les coins que je connais. » Il n’est abonné à aucun des titres, se contentant des articles gratuits. Il nous confie son désarroi en nous demandant pourquoi les médias sont en boucle sur certaines actualités : « Depuis 4 à 5 ans, je m’en éloigne … J’en prends le minimum et j’en laisse énormément ». Le sujet qu’il ne veut plus voir et pour lequel il a des reproches à faire aux journalistes : les pénuries. « Ils stressent les gens. Ils annoncent une pénurie de pâtes ou de chaussettes ou que sais-je et elle est décuplée parce que les gens ont peur et dévalisent les magasins… ». Comment réussir à le faire revenir à une lecture plus agréable de l’actualité ? Offrir toujours plus d’informations locales, qui « concernent vraiment les gens. »
La caravane intrigue et David, 41 ans, qui sort du tabac et s’apprête à gratter un jeu, vient à notre rencontre. Lui est né ici, et nous parle de ses belles années dans le patelin mais aussi de ses galères. Il aime bien le Courrier Picard. « Il y a du positif, avec les événements qui égayent la ville, et du négatif, avec les accidents. » Il a son astuce pour passer un bon moment, il écoute Rires et chansons. On a ce qu’il faut d’infos et « ça met de bonne humeur.»
Sur la caravane, on a tracé une frise, inspirée de celle de l’étude sur la fatigue informationnelle de la Fondation Jean Jaurès. David s’est placé presque au milieu des deux axes. Il serait un « défiant distant ».
Des guerres et des hommes
Alors qu’approche doucement la mi-journée, de plus en plus de monde passe devant nous. Parfois, certain·e·s serpentent pour nous éviter soigneusement. Ce n’est pas le cas de Christophe, 56 ans. Il arrive en nous tendant un prospectus. Il est bénévole dans une association qui reconstitue des scènes de la Grande Guerre. Faire vivre la mémoire, il a ça dans le sang. Alors qu’il rappelle que des dizaines de milliers d’hommes pouvaient mourir sur un champ de bataille en un jour en 1916, il trouve que le traitement de la guerre en Ukraine est nécessaire et surtout « plus humain », qu’à l’époque : « Il faut parler de ces gens qui vont au front pour la paix et qui n’ont pas toujours le choix. »
Philippe, lui, aimerait voir d’autres informations faire les gros titres. « La guerre en Ukraine, les intégristes écologistes, les abus dans l’Église… c’est toujours les mêmes choses qui sont mises en avant », regrette l’agriculteur de 68 ans. « Il faudrait parler aussi des choses qui vont bien ! » Brigitte, elle, est un peu plus nuancée. Le conflit russo-ukrainien est effectivement partout, mais il est difficile d’en faire l’impasse « Cette guerre, elle nous impacte au quotidien, avec les pénuries, le coût de l’énergie qui augmente. On doit se tenir au courant de tout ça. »
Sophie Bourlet, Clémence Leleu & Timothée Vinchon