Laurent Petit est psychanalyste urbain. Une drôle de profession à mi-chemin entre le réel et la fabulation, qu’il exerce depuis 15 ans. Avec son cabinet, l’ANPU (Agence nationale de psychanalyse urbaine), il investigue les territoires, dont le bassin minier. Rencontre.
Ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de rencontrer un psychanalyste urbain. D’ailleurs on doit avouer qu’on avait un peu de mal à se rendre compte de ce que ça voulait dire, cette profession. Alors pour comprendre, on a discuté avec Laurent Petit dans un café en face de la gare de Lens. Il est arrivé avec des grandes affiches enroulées, du chatterton et des gros ciseaux orange. Voilà pour les fournitures. Côté look : un bonnet sur la tête, des lunettes un brin excentriques et un manteau à bandes réfléchissantes. On a vite compris qu’on n’allait pas s’ennuyer et que ce n’était pas avec une version moderne de Sigmund qu’on allait partager le café. Et on n’a pas été déçues.
Alors tout de suite, on a voulu percer le mystère. Laurent Petit nous a donc expliqué l’affaire, en posant d’abord le décor : il est ingénieur de formation, mais a vite pris la tangente de cette profession bien trop sérieuse pour faire du spectacle. « J’avais la poésie en moi », explique-t-il. Une poésie qu’il doit à une enfance passée auprès d’un parent maniaco-dépressif et entouré de nombreux frères et sœurs « J’ai grandi dans un monde à la fois thérapeuthique et de fabulation. Et puis dans ma famille, on adorait le travail autour des jeux de mots. Je ne pouvais pas faire un métier normal. » Laurent devient alors jongleur puis clown de supermarché. Il fait la rencontre d’Eric Heilmann qui a étudié les liens entre Mickey et Michel-Ange. Ils se lancent ensemble dans des spectacles para-scientifiques, là où le vrai, le faux et le pas tout à fait vrai se mélangent. « On a fait une espèce de conférence diapositive, mise en scène comme un spectacle. Ça durait 20 minutes et ça créait un électrochoc dans le public. On l’a joué 1 500 fois en cinq ans », se félicite l’artiste. Une rencontre avec le collectif d’architectes Exyst plus tard, le personnage de psychanalyste urbain était né.
Réécrire le réel
Son travail, avec l’Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine (ANPU) qu’il a créé avec Fabienne Quéméneur et Charles Altorffer, consiste à tenter de guérir les villes. « Ça se déroule en quatre parties, on détecte l’environnement familial du territoire, ses traumatismes, ses névroses et on suggère un traitement », détaille Laurent Petit. Les psychanalystes passent ainsi plusieurs semaines sur zone pour mener leur enquête, ils rencontrent les services du patrimoine, les urbanistes, les journalistes, les acteurs économiques, les associations emblématiques et les habitants. Après cette auscultation minutieuse, ils reviennent deux mois plus tard et livrent leurs conclusions devant une foule aux yeux ébahis. « La discipline plaît beaucoup aux urbanistes et aux archis. Les psys, ils pensent qu’on se fout un peu de leur gueule. Ils veulent tout de suite vérifier si on a été psychanalysés. Honnêtement ça m’aurait pris 20 ans et j’avais pas tout ce temps avant de lancer le projet », lâche Laurent, pince-sans-rire. « La psychanalyse urbaine ça sonne un peu intello, alors moi je milite pour faire le pitre, ne pas imposer un pouvoir intellectuel écrasant. Tout ce que l’on fait, c’est une réécriture du réel. Je ne suis pas là pour donner des leçons. »
Cette psychanalyse du bassin minier, ça a donné quoi ? C’est là que Laurent Petit a déroulé ses affiches, bien trop grandes pour le petit espace que l’on occupait dans un coin du bistrot. Le chatterton ne tenait pas très bien, les larges feuilles se détachaient toutes les deux secondes « Voilà, ce projet c’est à l’image de tout ça : c’est loufoque, ça participe du spectacle ! » Sur l’une des affiches, une frise chronologique de l’histoire du bassin minier, sur l’autre une sorte de carte mentale avec tout ce qui fait le bassin, appelée « arbre mythogénéalogique » : son territoire, ses acteurs, son passé et son présent.
Et puis Laurent Petit s’est mis à dérouler l’analyse de cette région « capable de s’effondrer, de renaître, de s’effondrer et de renaître, indéfiniment ». Il a parlé de l’Angleterre et de la Belgique, de l’aristocratie minière, d’Henriette de Clercq « qui ne sait pas quoi faire de son argent, qui veut faire des fontaines sur son terrain mais lorsque l’on en creuse le sol, on tombe sur un puit de charbon », du traumatisme qu’est notamment la bascule des gens du coin du monde paysan à celui de la mine. Il en a évoqué les catastrophes comme celle de Courrière en 1906, ses fiertés qu’est le patois picard « une façon de garder la nostalgie de la campagne mais aussi de ne pas se faire comprendre par les chefs ».
Et puis il y a les chiffres : 18 compagnies minières qui morcellent le territoire, 600 puits de mines, 563 cités minières, 350 terrils. L’immigration aussi : les Polonais, Italiens, Marocains, Algériens et Belges, qui sont envoyés au fond. Vient 1990 et la fermeture des mines avec l’extraction de la dernière gaillette à la fosse 9 de Oignies. Puis le relais pris par les zones commerciales et les plateformes logistiques, principales pourvoyeuses d’emplois depuis les années 2000. Mais dans tout ça il ne faut pas non plus oublier la culture qui innerve le territoire : le 9-9bis, le Louvre-Lens ou encore le fameux Racing club lensois qui fait vibrer les supporters à Bollaert.
Alors quels traitements pour le bassin minier ? Laurent Petit l’avoue « Je n’ai pas de solutions miracles. L’avenir est complètement ouvert, que l’on peut comprendre aussi comme “tout vert” si l’on fait la liaison », précise dans un sourire le psy. La seule chose que l’on sait c’est que les gens d’ici ne peuvent plus se projeter dans un projet aussi collectif que l’ont été les mines. Qu’il y a eu aussi un vrai travail thérapeutique qui a été enclenché avec la Mission du bassin minier. Peut-être que la région pourra passer du gris/noir au vert ? L’avenir le dira. »
Clémence Leleu, Sophie Bourlet, Timothée Vinchon