« Strictement rien à foutre. » Stephen, patron de l’Estaminet à Boves, tout en barbe et tatouages, est implacable. Pour lui, l’actualité c’est fini. Si son spacieux bar PMU possède trois télés, ce n’est pas pour passer les infos, mais pour « les trucs vraiment intéressants » : le Tiercé la journée, les matchs le soir, et parfois Arte le matin, pour l’émission Invitation au voyage. « Par exemple, l’autre jour, il y avait un documentaire sur le coucou. Il y a plus de diversité que sur Cnews, où on nous montre des galères dès le réveil. » dit-il assis sur un tabouret au dessus de son grand chien blanc, Piment.
Autour de lui, quelques habitués sirotent une bière et grattent un ticket de bon matin – c’est l’heure de ses « petits vieux » comme les appelle le trentenaire derrière le bar. Christian, cheveux grisonnants, ne regarde plus non plus les informations. « Ça fait même 20 ans que je n’ai pas été à Amiens ! » avoue-t-il alors que la métropole est à 30 minutes de route. « C’est surtout le quinté dans l’ordre qui l’intéresse ! » renchérit Stephen en riant.
Recréer du lien
De l’autre côté du bar, un autre client gratte un ticket. Retraité des forces de l’ordre, il a souvent fait partie de l’actualité. Il était à la prise d’otage de 30 gendarmes par des indépendantistes en Nouvelle-Calédonie en 1988, et ces dernières années, il a travaillé à la surveillance des côtes de la Manche. Il juge que les médias ne dressent pas un bon portrait de la police : « On pense que les forces de l’ordre sont là pour taper sur les migrants alors qu’on est là pour sauver l’humanité ! » songe-t-il.
Le réserviste a vu le métier évoluer. « Avant, on connaissait tout le monde, on venait prendre les renseignements au café, et ça se réglait souvent à l’amiable. Maintenant, les policiers n’ont plus le temps. » Un symptôme qui se retrouve dans l’information selon lui : « L’actualité, c’était nous, les êtres humains ! » note le bovois, qui regrette le temps où il lisait le Bonhomme Picard et qu’il y avait 8 cafés dans le village. Stephen, lui, a repris le bar en 2021 et c’est un succès, notamment auprès des lycéens de Paraclet à Boves, qui y viennent après les cours.
Le vrac aussi à la campagne
Quelques rues plus loin, Hélène, 50 ans, a aussi choisi Boves pour installer son commerce. « Quand je suis arrivée il y a trois ans, il n’y avait qu’une supérette. Je me suis dit, c’est pas possible qu’avec plus de 3 000 habitants, on prenne sa voiture pour aller chercher un filet de pommes de terre ! » Elle a donc ouvert son épicerie Ô Bovrac, qui propose du vrac, des produits locaux, des bocaux, du bio.
Deux fournisseurs arrivent au comptoir, la manifestation des agriculteurs leur a fait faire un détour pour arriver jusqu’au magasin. Ils lui présentent les produits d’un collectif de producteurs et notamment une alternative au café à base de lupin, cultivé dans l’Aisne. Hélène est conquise, elle mise sur les circuits-courts. Ses produits, un peu plus chers qu’au supermarché, sont au juste prix pour les producteurs. Quelques médias on parlé de l’ouverture, originale pour un village de cette taille, mais pas le Courrier Picard. « Dans les médias, on met en avant la grande distrib’, jamais les petits commerces. Quand je vois les patrons de Leclerc et d’Intermarché qui se la jouent sauveurs de la planète, je rigole. » glisse Hélène une fois les deux commerciaux sortis.
Elle offre pourtant un service bien différent. « Il y a une vraie proximité avec les clients. Je vais livrer une quinzaine de personnes chez elles, c’est l’occasion d’échanger, notamment avec les personnes âgées. Et j’ai un vrai lien avec les producteurs. » Avec ces commerçants fraîchement installés et un lien qui se recréé au local, Boves est l’illustration que les petites villes rurales peuvent être dynamiques – elle a d’ailleurs gagné 400 habitants depuis 2010.
Sophie Bourlet, Clémence Leleu et Timothée Vinchon