On sait très bien comment ça se passe : au début, tout est fluide. On prend des nouvelles des un·es des autres, on se raconte les dernières histoires et puis d’un coup, un convive lance, comme ça, une petite phrase sur un sujet d’actu. Et là, la tablée s’embrase. Le volume sonore augmente, les gestes s’empressent et il est impossible pour celles et ceux qui voudraient se tenir loin du débat de continuer à papoter dans leur coin tant la discussion devient brûlante. Les repas de fête, qu’ils soient passés en famille ou entre amis, sont souvent propices aux conversations animées. Alors nous avons demandé aux habitant·es de Longueau venu·es faire leur marché en ce matin frais mais ensoleillé, les sujets d’actualité qu’il fallait absolument éviter pendant les fêtes et ceux au contraire dont il faudrait plus parler.
« Surtout pas la politique ! », à peine a-t-on fini de poser notre question que Philippe, venu au marché avec son petit-fils curieux de voir les stands, lâche sa réponse du tac au tac. Même réponse pour Thierry, ancien cadre à la SNCF et fraîchement retraité : « La politique, la redistribution des impôts, tout ça, ça tend les gens rapidement. » Anne-Marie, 81 printemps, se tient elle aussi loin de ce type de conversations, « personne n’est jamais d’accord. » Jules, fromager de la boutique Un jour à la campagne, préfère laisser les discussions autour de la guerre loin des assiettes et des boules du sapin, « la guerre pour moi ça n’a rien à faire dans un repas de famille. » À part ça, rien d’autre à signaler pour lui, « y’a rien qui me fâche moi. C’est pour ça que j’ai du mal à répondre à votre question », glisse-t-il dans un sourire.
La politique, les impôts, la guerre, c’est noté. Jean-Claude, conseiller municipal, rajoute à notre liste les questions liées à l’immigration et Véronique, elle aussi conseillère, estime quant à elle que le ton monte lorsque l’on évoque les questions liées à la planète.
Mais alors de quoi on peut parler pour être sûr de passer une bonne soirée ? Thierry aime évoquer les projets personnels de chacun ou des initiatives positives dont il a entendu parler aux informations. Régis lui part du principe que la qualité de la conversation dépend surtout du caractère des gens assis autour de la table « si on invite les bonnes personnes, il n’y a pas de sujets tabous. Faut pas inviter les cons ! » Pour Jules, c’est le sport qui peut apporter de la joie et de la bonne humeur, « enfin, faut juste pas venir me reparler du quart de finale de la France à la Coupe du monde de rugby. »
« On parle de bonne bouffe, on mange, on boit et on profite. »
Bernard, lecteur de Fakir, Politis et parfois du « Canard » privilégie les discussions autour des livres que lui et sa femme Geneviève offrent, et plus généralement, celles autour de la culture. « Noël, c’est pas le moment pour refaire le monde », ajoute madame en train de faire la queue pour acheter de la viande, « Oh, parfois, avec les amis avec qui on est d’accord, on le refait, ça ne sert pas à grand-chose, mais ça fait du bien ! » Philippe, boucher-charcutier-traiteur Aux mille cochons ne peut s’empêcher de rétorquer, bon commerçant : « On parle de bonne bouffe, on mange, on boit et on profite. »
Sauf que Noël ne rime pas pour tout le monde avec fêtes et moments doux. Pour pas mal de personnes rencontrées lors de cette matinée au marché, la fin d’année est un moment parfois difficile : un deuil récent, des problèmes d’argents qui empêchent de pouvoir offrir les cadeaux que l’on aimerait, peur de la solitude ou impression que les fêtes sont devenues davantage une course aux achats qu’un moment partagé entre proches, comme nous l’explique Benoît, maraîcher : « je n’aime pas tellement Noël et le jour de l’An. Ça peut être sympa si on a de la famille avec qui on s’entend bien mais si ce n’est pas le cas ou si on n’a pas de thunes, c’est autre chose. J’ai l’impression que ça se perd de plus en plus l’idée d’être ensemble pour être ensemble. Alors moi, le sujet d’actu dont il ne faut pas me parler en fin d’année, c’est les fêtes. »
Sophie Bourlet, Clémence Leleu et Timothée Vinchon.