La Caravane des médias s’arrête rue Guynemer, au cœur du Pigeonnier, l’un des quartiers d’Amiens Nord. À droite, quelques clients vont et viennent entre les commerces, La Poste et le supermarché. Quelques jours après la rentrée scolaire, il y a de l’animation. À gauche, des jeunes s’engouffrent dans l’école Emile Lesot, la salle de spectacle du Safran, ou la bibliothèque Bernheim. La rue est encadrée par deux immeubles de 18 étages et au fond, on aperçoit la tour Mozart, destinée à être prochainement détruite.
À peine quelques mots esquissés au feutre sur les flancs de la Caravane qu’une pluie fine se met à tomber, nous replions boutique vers la bibliothèque. Une poignée de collégiens, des couples de seniors et quelques quadras y flânent entre les rayonnages. Les conversations démarrent, entre le rayon DVD et les polars. La plupart connaissent bien le quartier, plusieurs y sont nés. Pierre, 76 ans, a même vu les tours sortir de terre, dans les années 50. Fafet, Balzac, la tour 18 … construites pour accueillir les travailleurs des campagnes, puis d’Algérie et du Maroc. La suite, on la connaît : un eldorado pas si prometteur, que les différentes ZEP et autres politiques de la ville ne suffisent pas à protéger des trafics, du racisme ou des violences.
Paysages médiatiques des quartiers
Mais alors, quand on est habitant·e d’Amiens Nord, qu’est ce qui a marqué dans le paysage médiatique ? « Les émeutes de l’année dernière » répond du tac-au-tac Jessica, 43 ans. Suite à la mort du jeune Nahel en fin d’année 2023, plusieurs bâtiments avaient été incendiés dans le quartier. « C’était chaud, on ne savait pas comment ça allait finir à Guynemer. » L’employée de la bibliothèque regrette le traitement médiatique : « Les journalistes auraient pu aller voir les commerçants… On a eu l’impression d’être un peu oubliés. » D’autant que, selon elle, la situation est de plus en plus tendue – elle s’inquiète pour son fils quand il rentre chaque jour de l’école.
« On leur donne plein de choses aux jeunes et ils brûlent tout » se désole Pierre, 74 ans. Il a suivi les émeutes de 2023, mais il cite celles de 2012, suite à une altercation entre la police et des jeunes amiénois lors de funérailles de l’un de ces derniers. Et avant ça, il y avait eu 2006 puis 2008 au même moment que celles de Paris. Mais aussi à une autre époque, suite à la mort d’un autre jeune, Abderaman Rabah, en 1993.
« Le passage de la flamme olympique »
Des jeunes, justement, se sont attroupés autour des post-it accrochés aux bacs de la médiathèque. Leurs souvenirs médiatiques sont plus récents … mais aussi plus positifs. Iradat, 11 ans, cite « le passage de la flamme olympique », Arthur « le concert du nouvel an », dans lequel sa mère joue chaque année – il veut lui-même devenir musicien. Selma, 13 ans, a même été interviewée par la télé pour parler de sa classe internationale américaine, la toute première des quartiers Nord. Un dispositif qui « augmente l’attractivité du quartier » selon son professeur Mathieu, 44 ans.
Les souvenirs du Pigeonnier sont aussi spontanément joyeux, pas forcément en lien avec l’actu du Courrier Picard ou de France 3, bien que ces derniers « parlent beaucoup de choses positives », selon Jessica. Pour Maryse, octogénaire taciturne, ce sont « Les cours de céramique au Safran », c’est plutôt « la fête de la musique » pour Mateo, collégien hyperactif, « l’entrée en sixième » pour Selma ou encore « la fête foraine de la gare », pour Husna, 11 ans.
Pour Pierre, l’ancien professeur né au Pigeonnier, « quand on est dans un quartier difficile, il faut se serrer les coudes. » Un constat que partage Jessica. Ce qu’elle préfère, c’est la solidarité au sein des tours 18 et 7, dans lesquelles elle habite depuis vingt ans et y connaît tout le monde. Elle se remémore une scène d’entraide entre voisins lors d’un incendie dans une des tours. Mais c’est aussi simplement un souvenir d’une main tendue « pour une roue crevée », confie-t-elle en lâchant que c’est pour toutes ces raisons qu’elle ne veut pas partir du quartier.