Sur le papier, Pauline Pronau est référente senior du centre socioculturel de Saint-Michel. Dans les faits, elle est celle qui rassemble, écoute, enregistre, recueille, ravive, encourage et écrit. Pauline est en quelque sorte une passeuse d’histoires. Une amoureuse des mots qui fait briller ceux des autres. Et notamment ceux des personnes âgées de la Thiérache, ce petit bout de territoire aux confins de l’Aisne, tout près du Nord et la Belgique. Un territoire entre ruralité et industrie, où les histoires vraies, comme les légendes, doivent être attrapées au vol, avant que leurs détenteurs ne disparaissent.
Et c’est ici que Pauline intervient. Par le biais des ateliers mémoires initiés il y a quelques années par François Pery qui rassemblent une quinzaine de personnes âgées de 67 à 90 ans, elle crée des espaces de discussion et enregistre ces conversations d’où émergent souvenirs et anecdotes, qui en disent autant sur les habitants que sur le territoire. « J’essaie de valoriser leurs savoirs et leurs expériences de vie », explique Pauline. À chaque séance son thème, parfois initié par les membres, qui par exemple ont souhaité parler d’amour et de rencontres, parfois initié par la référente, comme celui dédié à l’exode de 1940. « Certaines personnes me racontent des choses qu’ils n’avaient parfois jamais dit à leurs familles. Ils sont ravis de pouvoir parler, les rencontres sont souvent émouvantes », poursuit Pauline.
« J’essaie de valoriser leurs savoirs et leurs expériences de vie »
Pauline Pronau est référente senior du centre socioculturel de Saint-Michel
Ces bribes de vie sont ensuite retranscrites par la jeune femme dans La gazette de nos aînés, un petit « bulletin d’information et de lien intergénérationnel ». Une manière de garder une trace, mais aussi de faire circuler ces souvenirs, puisque ce média local est tiré à 250 exemplaires. Et de dessiner avec plus de précision les contours de la vie en Thiérache au fil des décennies. « On se rend compte que les récits autour de la guerre sont très nombreux, alors qu’à l’inverse, d’autres évènements comme mai 68, n’ont pas eu ici beaucoup d’écho », indique Pauline. Les quotidiens ne sont pas non plus les mêmes si l’on vit dans le sud de la Thiérache, plus rural, avec ses herbages, ses corps de fermes et petites laiteries, ou plus au nord, où les industries, notamment les filatures, étaient plus nombreuses.
Pour le moment, Pauline, en plus des ateliers mémoires, sillonne davantage le versant sud, épaulée à son arrivée en avril 2019 par André Blin, un nonagénaire incollable qui l’a guidé sur ce territoire rural, très catholique et assez conservateur. Lors de ses déplacements ont lui confie la difficulté que l’on pouvait avoir à se faire accepter par la belle famille ouvrière lorsque l’on était fille ou fils d’agriculteurs, les voyages trop rares, puisque certains confient n’être jamais partis plus loin qu’à une dizaine de kilomètres de chez eux.
Et puis il y a aussi cette identité paysagère qui se dilue notamment avec le remembrement qui fait disparaître les bocages, pour faire place à des cultures plus étendues et intensives. Le maïs et les pommes de terre remplacent les herbages. Certains regrettent aussi une dilution des coutumes, notamment depuis l’arrivée de la télévision. « Certaines personnes âgées témoignent qu’auparavant les liens et les légendes se perpétuaient par l’intermédiaire des discussions entre voisins, devant les portes. Tout le monde se connaissait, se rassemblait lors des fêtes populaires. Désormais, chacun reste chez soi », rapporte Pauline. Alors elle consigne aussi légendes, dictons, et mots de patois picard.
Son prochain projet ? Récolter des témoignages sur la guerre d’Algérie afin de monter un spectacle avec sa sœur, artiste, qui travaille également sur le territoire. Encore une autre manière de garder vivante l’histoire de la Thiérache et ses habitants.
Clémence Leleu et Simon Lambert