Contribution libre de Clémence Boulfroy – Directrice de l’association CARMEN.
En tant que directrice d’un média participatif qui a 37 ans maintenant, j’ai été sensible au fait de voir émerger cette dynamique, qui en 20 minutes a résumé 40 ans de travail sur l’audiovisuel participatif.
Mercredi 14 juillet 2021, la caravane des médias fait halte à Landrecies. Dans l’étable de la Gadelière, gradins et tablées ont été installés. Comme chaque année à la même date, c’est l’assemblée générale du collectif Parasites.
J’aime bien les AG et leur petit goût de premier de l’an pour les militant·e·s associatifs·ves. On s’engage au conseil d’administration plein·e de bonnes résolutions en se disant que cette année, c’est décidé, on s’y met !
La rencontre étire cette fin d’après-midi pluvieux avant les festivités et la très attendue mise en service de la pompe à bière. Quelques minutes donc encore avec l’énergie d’une soixantaine de bénévoles réuni·e·s pour l’occasion, invité·e·s à résoudre une problématique au choix parmi lesquelles : comment investir le cinéma Cameo co-géré par l’association avec la commune d’Avesne-sur-Helpe, comment penser la programmation culturelle de l’année 2021, comment communiquer en interne et en externe et comment rendre la vidéo participative au sein du collectif Parasites. Quatre questions, quatre espaces, chacun·e choisit son groupe et c’est parti pour vingt minutes d’atelier.
La dernière thématique attire en particulier ma curiosité. Quelque chose se prépare, un élan singulier qu’il ne faudrait pas louper.
Thomas, Thalie, François, Luana, Marco et Hugo ont formé un petit groupe et semblent très concentrés. Je m’approche. Il est question de ligne éditoriale, de création collective, d’un site pour mettre des contenus en ligne et de Youtube, ou pas d’ailleurs. Je m’installe.
Les échanges sont animés. Hugo – coordinateur du collectif Parasites – rassemble régulièrement les paroles, les résume et range les idées qui foisonnent dans des catégories comme « projet », « technique », « formation », « partenaires »… Il rappelle : « La parasite TV, c’était sympa mais c’était hyper dans « l’entre nous », l’humour, « la touche parasites », ça a fonctionné entre nous mais pas au-delà de notre réseau. Il faut avant tout se demander pour quoi et à qui s’adresserait notre média ? »
Le mot est dit, les Parasites se lancent dans l’aventure médiatique.
Faire socle commun
« Il n’y a pas d’autre média vidéo sur le territoire de l’Avesnois. Il y a la Voix du Nord qui fait de plus en plus de vidéos. » Un instant, ils réfléchissent. L’état des lieux vite dressé, la conversation se poursuit. « Il faudrait faire un média vidéo – parce que c’est ce qu’on sait faire la vidéo – qui parlerait de l’Avesnois, qui porterait la parole, qui parlerait des initiatives locales et notamment de celles de l’Economie Sociale et Solidaire et qui permettrait de faire émerger des difficultés, des revendications. » « Et ce serait pas que positif », ajoute avec détermination Thalie.
« Pourquoi ne pas créer des musiques spéciales pour le média, qui soient libres de droits », propose un des bénévoles qui ajoute suivre une formation certifiante en MAO (musique assistée par ordinateur) et saurait faire ça. La discussion commence à prendre sens commun autour de l’idée d’inviter les gens à participer librement au projet, avec un parc matériel accessible, des savoir-faire qui se croisent, une vraie convergence.
« Faire quelque chose de décalé à la sauce Parasites, ce serait chouette, en conservant l’humour notamment. » Quelque chose de très convivial, « à la sauce parasites », l’expression revient plusieurs fois dans la conversion comme s’il fallait conserver l’essence de la Parasites TV qui fait sens dans l’histoire du collectif. Il sera donc peut-être question d’émissions de télévision.
Un média oui, mais avec des moyens !
Une fois d’accord sur le principe, la discussion bifurque rapidement sur la nécessité qu’une personne soit salariée sur cette mission et la coordonne. « Si on organise des formations le week-end par exemple, des sortes de stages, on pourrait mettre en place des prêts de matériels avec des plannings comme ça se fait dans les milieux professionnels, ce serait top ! » précise Luana – fraichement sortie de stage au Parasites et franchement enthousiaste. « J’aimerais bien un jour être capable de maîtriser un appareil photo pour partir avec mon vélo et aller faire des images sur l’Avesnois, j’adore ce territoire, j’arrête pas d’en parler », détaille l’un d’eux qui s’y projette déjà.
« Il y a un besoin de formation et d’accompagnement, mais il y a aussi à définir les valeurs qui sont portées, vers où on va, quelle visibilité on donne, les grandes directions. La ligne éditoriale ! »
Un média, c’est transmettre des émotions.
Les idées fusent de toutes parts : « Ça peut être la forme émission TV mais aussi du reportage. Et du son, du podcast, ou du diaporama sonore, ça peut être aussi ça pour raconter des histoires – un petit vieux d’un village qui veut partager son savoir-faire ou un jeune qui fait du skate et qui a envie de partir d’ici.» Une autre piste : « Quelqu’un qui veut aller quelque part et qui ne trouve pas de transport, ça peut être aussi de la revendication, qu’est-ce que j’aimerais voir bouger, faire remonter tout ça, pour savoir ce qu’on peut faire en tant que média pour faire avancer les problèmes. Aller chercher du brut comme ça. Prendre la température d’un territoire. Il faudrait trouver un rythme aussi et on pourrait promouvoir le média avec un fanzine. »
Sortir de l’entre-soi
Pour terminer l’atelier dont le temps est largement écoulé, les échanges se portent sur la mobilisation des contributeurs·rices du média. Il faudrait ouvrir à tous, aux stagiaires, faire le lien avec la Mission Locale et la garantie-jeune ou encore l’option audiovisuelle du lycée, sans oublier les bénévoles Parasites.
Hugo conclue : « individuellement, sur ce chantier, ça vous dit de réfléchir ? ». Le groupe répond à la collégiale « Oui, carrément ! » Le phénomène est rare et je suis très chanceuse d’y avoir assisté : la naissance d’un média participatif. Quelques minutes pour brosser de manière brute certes, mais sincère et ambitieuse, ce qui anime par ailleurs depuis trente-sept ans CARMEN et une quarantaine d’autres médias dans la fédération nationale de l’audiovisuel participatif.
Affaire à suivre de près donc sur le site des Parasites.