À peine a-t-on fini de poser chaises et table devant la caravane que Mohamed et ses trois potes s’approchent d’un air amusé. « On peut dire les termes, c’est vrai ? » C’est peu dire que la question que l’on se pose ce matin interpelle : quels sont les sujets sur lesquels les médias font trop de raccourcis et tombent dans les clichés ? Comme prévu, Mohamed n’y va pas par quatre chemins. Il en veut particulièrement à ceux qu’il estime être des experts « de tout » : « Ça débat pendant des heures de comment les gens s’habillent, alors qu’en vrai, on s’en fout. Qu’on laisse chacun faire ce qu’il ou elle veut. »
Les pauses entre les cours apportent leurs lots d’étudiant·es, autour de la caravane stratégiquement posée entre les facultés. Beaucoup tracent tête basse, casque sur la tête. D’autres prétextent être en retard pour filer. Yasmine, 21 ans, est heureuse de s’arrêter, car il y a selon elle un cliché qui a la vie dure et qu’elle trouve complètement faux. À la télévision, elle désespère d’entendre que les jeunes se la coulent douce. « La moitié des étudiant·es galèrent pour acheter un PC », s’exclame-t-elle. Elle estime avoir eu de la chance, car elle a pu acheter le sien en recevant 300 € en échange de 35 heures de bénévolat pour une association.
« On nous prend pour des pauvres et des alcooliques »
Brenda, 27 ans.
Même rengaine du côté de François, 22 ans, en master de chimie : « on dit toujours que les jeunes sont fainéants. C’est n’importe quoi. Si on fait des études c’est aussi parce qu’on veut s’en sortir. » D’autres, étudiants eux-aussi, en master MEEF pour devenir professeurs de SVT, hallucinent des clichés qui entourent leur futur métier : les profs seraient toujours en vacances, ne bosseraient que 17 heures par semaine… « On a une deuxième journée qui commence après avoir donné cours », explique Joëvin, 23 ans.
Aurélien, plombier de 41 ans et Roger peintre en bâtiment de 35 ans, ont garé leur camionnette juste en face de la caravane. Ils prennent une pause avant de repartir vers un autre chantier. Le premier ne regarde plus la télé et évite au maximum les médias. Il se plaint beaucoup des raccourcis et de la méconnaissance qu’ont les journalistes sur les plateaux à propos de la vie des travailleurs : « Ils osent parler de la pénibilité. Il faudrait qu’il vienne une semaine avec moi et que je les regarde travailler. Dans ces cas-là, je veux bien les écouter. » Roger, de son côté, continue à regarder de temps en temps l’actualité. Il trouve qu’on ne dit pas assez à quel point tout le monde galère : « qu’on travaille ou pas, tout coûte trop cher, on s’en sort plus. »
« On dit toujours que les jeunes sont fainéants. C’est n’importe quoi. »
François, 22 ans
Brenda, 27 ans, est intriguée par notre drôle d’installation. Alors que son ami désespère qu’elle s’arrête et finit par partir en avant, elle raconte la réputation qu’elle se paie en tant qu’amiénoise et habitante du quartier, à cause d’une émission de télévision tournée en 2016 – Il y a près de dix ans. « Depuis “La rue des allocs” [un “docu-réalité” proposé par M6, dénoncée par plusieurs associations et arrêtée au deuxième épisode], on nous prend pour des pauvres et des alcooliques qui tapent dans les aides »
Elle ne comprend pas comment ce genre de programme peut exister, ni même pourquoi on s’en prend aux personnes qui touchent ce à quoi ils ont droit, les minimas sociaux. Elle rappelle également que les clichés ont un impact sur la vie réelle. « Une des personnes qui a été filmée est aujourd’hui plus bas que terre à cause de ça. »
Sophie Bourlet, Clémence Leleu et Timothée Vinchon