Pour une radio censée être provisoire, ça fait 41 ans que ça dure. Radio PFM – pour Provisoire FM – a émis pour la première fois le 11 juin 1981 en pleine campagne des élections législatives post-élection de Mitterrand. Mais à l’époque, pas de studio, de table de mixage et encore moins une fréquence FM attitrée. Non, en 81, les grandes ondes sont sous monopole d’État et lorsque l’on capte la FM, on n’y entend que l’armée et les stations du groupe Radio France.
Des ondes policées bien loin des revendications des différents mouvements sociaux. On est dans l’ère post 68, la société bouillonne et entend faire sauter les carcans d’un pouvoir politique verrouillé, qui est déjà de plain-pied dans le consumérisme des Trente Glorieuses. Mais à la fin des années 70, ces mouvements sociaux (jeunesse, femmes, travailleurs, écolo, lycéen…) commencent à s’essouffler avec le manque de perspectives politiques. « Tous ces mouvements se heurtaient au fait qu’il n’y avait pas de lieu d’expression médiatique où formuler leurs espoirs et leurs revendications », analyse Jean. « C’est à ce moment-là que se crée le mouvement des radios libres, locales, pour que l’on trouve un espace d’expression. On voulait briser ce monopole d’État sur le monde radiophonique. »
Sauf que tout ça n’est pas sans risques. La police veille et Radio Lille par exemple est saisie de nombreuses fois, le matériel est confisqué, il faut tout reprendre à zéro. Mais il en faut plus pour refroidir Jean et ses acolytes arrageois. C’est à l’occasion des élections législatives, où ils présentent une liste « écolo-gauchiste » qui porte notamment la revendication de libération de la bande FM, qu’ils émettent pour la première fois, en collaboration avec Radio Lille 80 et Radio Quiévrechain. Ils sont douze et pour tout dire, ils n’y connaissent pas grand-chose. « Au début, on était complètement paumés. On avait envie qu’existe sur Arras une radio libre mais on n’avait aucune idée de comment ça se faisait », se remémore Jean.
Trouver ses marques
Pourtant, ce 11 juin 81, alors que le groupe est rassemblé dans une maison avec du matos prêté par une autre radio, leurs voix irriguent les ondes pendant deux à trois heures. L’émission zéro est lancée. « On a essayé de faire venir des gens qui allaient donner le ton : des personnes issues de l’immigration, du mouvement altermondialiste, un prêtre ouvrier, des membres des radios libres au niveau national, du groupe de femmes… », explique Jean, « Enfin, bon, en réalité, au micro on avait la trouille. Il y avait notre technicien Bernard Laurent, on n’arrêtait pas de lui dire : passe de la musique, passe de la musique ! Pour nous ça n’était pas du tout naturel. »
Après ce numéro zéro, le groupe souhaite mettre en place une radio libre pérenne, une association est créée, Radio provisoire est née. À partir de septembre 1981, la radio diffuse chaque dimanche son émission. Toujours en mode bricolage : l’émetteur est emprunté, les ondes sont captées grâce à une antenne CB dont ils coupaient les branches, et le tout est enregistré depuis un appartement. Peu à peu les choses se professionnalisent, Radio Provisoire s’installe dans un petit local et émet le dimanche matin et le jeudi soir. « On faisait de la radio d’un point de vue idéologique. On réfléchissait théoriquement à tout ce qu’on faisait », explique Jean, « Et puis très vite, des gens qui voulaient vraiment faire de la radio, qui étaient à l’aise devant le micro ont rejoint le groupe. Ils étaient politisés mais pas comme nous. Pour autant cela ne nous empêchait pas de nous poser toujours des questions : ok, tu veux passer de la musique, mais qu’est ce que tu racontes à côté ? »
Faire de la radio autrement
En parallèle, les choses bougent aussi au sommet de l’État. La loi du 9 novembre 1981 supprime le monopole public en matière de radiodiffusion. Avec une condition : les radios seront associatives, locales, non commerciales et non publicitaires. La loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle redéfinit les rapports entre l’État et l’audiovisuel. La Haute Autorité de l’audiovisuel est créée. C’est elle qui attribue les fréquences.
Radio Provisoire quitte la piraterie est arrive en toute légalité dans les transistors : d’abord sur 93.8 puis sur 99.9. Sauf que très vite le business s’invite dans ce petit monde radiophonique. NRJ fait pression, l’État cède et la publicité déferle sur les ondes. Radio PFM entre en résistance et repose le cadre de ses valeurs, « Notre volonté était de faire de la radio autrement. De poursuivre notre projet de départ qui était un projet politico-social alternatif, dans l’idée de la contre-culture », détaille le fondateur. Sur le 99.9, encore aujourd’hui, aucune publicité, des informations et des reportages indépendants et une volonté de s’opposer au formatage musical, dans les trente émissions qui composent la grille imaginées et réalisées par 80 bénévoles et 3 salariés.
Des nécessaires espaces de résistance
Mais PFM ce n’est pas que de la radio, c’est aussi une aventure humaine. Des membres qui sont au départ en équivalent des contrats initiative emploi d’aujourd’hui et qui deviennent salariés, d’autres qui viennent parler au micro et qui acquièrent une fluidité d’expression, ou encore une poignée qui y ont rencontré l’amour. « À mon époque les espaces de socialisation c’était beaucoup les colonies de vacances, on apprenait plein de trucs, on apprenait aussi la vie en commun. Aujourd’hui ces lieux où on apprend l’autonomie de manière horizontale ça n’existe quasiment plus. Hé bien PFM ça participe un peu à ça. »
Alors après ces 40 ans d’existence, quand on regarde dans le rétroviseur qu’est-ce qu’on voit ? Quand on regarde le chemin parcouru depuis les CB découpées, la crainte du micro et les engagements forts pour dessiner les contours et lancer l’impulsion d’un monde nouveau ? « Quand on réécoute l’émission zéro, on remarque qu’il y a pas mal de problématiques d’aujourd’hui qui étaient déjà présentes. Ce n’est pas PFM qui n’a pas réussi, même si en 81 on avait un peu espoir de faire changer le monde. Les choses ont du mal à bouger et aujourd’hui c’est un peu plus compliqué encore », analyse Jean, « Mais il y aura toujours besoin dans la société d’espaces de résistance, d’affirmation d’alternatives. C’est pour ça qu’on est toujours là. »
Clémence Leleu, Sophie Bourlet et Timothée Vinchon