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« Avant tu avais honte d’aller prendre un panier alimentaire, maintenant ça concerne tellement de monde… »

Des bénévoles de l’association Initi’elles se sont lancé le défi d’ouvrir une coopérative alimentaire dans le quartier d’Étouvie. Nous les avons rencontrées pour discuter Caddie qui coûte de plus en plus cher et envie de solidarité.

En bas d’un des immeubles d’Étouvie qui regardent la Somme, une brochette de bénévoles nous attend au local de l’association Initi’elles. Depuis 32 ans, cette petite association accueille des femmes du quartier afin de favoriser les échanges et propose différentes activités : cours de cuisine, couture, bricolage, informatique, cuisine, FLE, accompagnement à la scolarité. Tout est prétexte à la rencontre et surtout à sortir de chez soi. Cet après-midi, on les retrouve pour causer de leur nouveau grand projet : la création d’une coopérative alimentaire. 

« Bientôt il va falloir vendre un rein avant d’aller au supermarché »

Katty

C’est Laure, la chargée de projet pour Initi’ielles et l’association De la Graine à l’Assiette qui donne les détails. Elles veulent créer un magasin coopératif avec une cuisine pour faire des ateliers culinaires et un restaurant pour transformer le surplus « parce qu’il manque des endroits où se retrouver ». Laure, qui a énormément travaillé sur les problématiques de l’alimentation, du mieux manger et de « l’appropriation par tout un chacun de son acte alimentaire » s’est impliquée sur ce projet par conviction.

« C’est chouette de mettre en place des façons alternatives et durables de consommer. Mais je me suis rendu compte que souvent qu’il n’y avait pas de mixité sociale et que les plus précaires ne pouvaient pas en profiter. Il faut aller là où il y a besoin », suggère-t-elle. À Etouvie, le taux de bas revenus est de 77 % (40 points supérieurs à celui de la ville) ce qui en fait un des quartiers les plus pauvres d’Amiens. « Et ici, il n’y a plus de commerces de nourriture et donc plus d’aliments de qualité » ajoute-elle. 

« Bientôt il va falloir vendre un rein avant d’aller au supermarché », balance Katty, l’une des bénévoles très motivée à l’idée de cette coopérative. La mère célibataire d’un jeune adulte nous raconte à quel point il est difficile de joindre les deux bouts : « Je fais à manger à mon fils et je mange ce que je peux. » Elle nous détaille ses dilemmes au supermarché avec une mémoire d’éléphant concernant les prix qui flambent. Elle connaît au centime près tous ceux des produits dont elle voudrait se faire un petit plaisir mais qu’elle ne peut pas se permettre d’acheter : des poivrons à 1,99 € ou de la viande à 7,18 €. 

Pour Warkiya, maman célibataire de trois enfants, c’est pareil. Entre les légumes qui coûtent cher et la gestion de la maison, elle se désespère de s’être mise aux plats transformés : « Le pire, c’est les goûters pour l’école. J’ai essayé de leur faire des gâteaux, mais il leur faut toujours la même chose que tout le monde, les Kinder, les Pom’potes. Ça coûte un bras. »

Est-ce que les médias parlent suffisamment de la précarité alimentaire ? La question suscite un peu de débat dans la salle. Warkiya estime qu’il y a certes des reportages, mais sans qu’on en parle comme de la catastrophe que c’est pour des millions de français·es. Katty, elle, est plus mesurée. Elle écoute l’édition locale de NRJ qui selon elle laisse la parole aux associations qui expliquent leurs initiatives concernant l’alimentation : « Avant tu avais honte d’aller prendre un panier alimentaire, maintenant ça concerne tellement de monde. » 

« Aujourd’hui, on mange en pensant à son porte-monnaie, c’est triste. »

Fatima

Avec Initi’elles, elles avancent à toute vitesse sur le projet : elles ont récupéré un local de 250 m2 dans le bâtiment des Coursives, où le centre commercial a périclité depuis longtemps. Fatima, étudiante en BTS diététique a rejoint l’aventure récemment. Elle réfléchit aux meilleurs produits sur les plans économiques et nutritifs, et comment cuisiner en moins de temps, pour économiser de l’énergie. Son envie, c’est que chacun retrouve le plaisir de manger : « Aujourd’hui, on mange en pensant à son porte-monnaie, c’est triste. Il faut retrouver le sourire de la cuisine : c’est le mélange, les discussions en famille, la fête ».

Elle attend beaucoup du restaurant éphémère qu’elles vont mettre en place. Dans la petite assemblée, ça évoque déjà les recettes de leurs mères et grand-mères : le poulet mafé pour l’une, le bourguignon pour l’autre. Laure explique qu’elle attend beaucoup de l’intergénérationnel : « la cuisine des anciennes, c’était la cuisine anti-gaspi, la cuisine des astuces, avant que la grande distribution bouleverse tout pour le profit. On veut que chacun retrouve sa souveraineté alimentaire. » 

Timothée Vinchon, Sophie Bourlet et Clémence Leleu

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