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Caps et Marais d'Opale (62)

Avec les routiers, des kilomètres d’asphalte au son des informations

Qu’écoute-t-on quand on passe une dizaine d’heure par jour sur la route ? Nous sommes allés interroger les routiers qui prenaient une pause au Moulin de la Barne à Arques.

Le long des départementales qui sillonnent le Pas-de-Calais, subsiste un trésor du patrimoine populaire : les relais routiers. On l’a trouvé grâce à une carte bien pratique. Celui d’Arques s’appelle le Moulin de la Barne, et sur son immense parking, le ballet des camions ne s’arrête pas depuis plus de 40 ans. S’y croisent des routiers venus de toute la France, d’Angleterre ou des pays de l’Est, mais aussi quelques touristes en goguette qui en profitent pour bénéficier d’un bon repas du terroir à moindre coût. 

A 18h, c’est la fin de journée et les travailleurs de la route garent leurs immenses véhicules et viennent saluer Sylvie, la patronne qui tient de main de fer le restaurant avec son mari. « C’est quoi ton petit nom ? »  demande-t-elle systématiquement, avant d’inscrire l’heureux élu sur la liste d’attente pour la douche et de servir Picon, Ricard, ou pression. En bruit de fond, la télé qui tourne dans la pièce d’à côté. Elle explique : « Là, les gars m’ont demandé le Tour de France. Des fois, c’est le foot. Ils me demandent parfois TF1 et tout à l’heure ils vont me demander la 3, le journal régional. Mais les actualités, ils sont blasés. » 

Fabien, 33 ans, est chauffeur routier depuis 10 ans.

Une information que confirme Fabien, 33 ans : « Je n’écoute pas du tout les informations, parce qu’ils sont en boucle sur certains faits divers. Je regarde seulement au moment des présidentielles, pour savoir qui sera élu. » Aux actualités, il préfère sa clé USB, ou à la limite 107.7 FM pour les infos de la route. Patrick, son collègue, écoute pas mal RTL, l’émission des Grosses Têtes et aime particulièrement le journaliste Jean-Jacques Bourdin, « parce qu’il sait cuisiner les politiques. Même si on sait qu’ils ne diront jamais tout » Parfois, il jure seul dans la cabine en écoutant telle ou telle information qui le crispe. 

Julien lui, écoute la radio du matin au soir. L’actualité qui inquiète le jeune homme en ce moment, c’est la canicule. « Je connais un gars qui bosse en Espagne et qui a eu hier 39 degrés au thermomètre de sa cabine ! » Mais surtout, il profite de ses 2 200 kilomètres par jour pour téléphoner à ses collègues et discuter. Car le temps est parfois long quand on est seul sur la route. Au relais, on en profite pour discuter, mais pas de tout. « Au bistrot, on parle de notre métier, on s’échange les bons plans, les états des routes ou les itinéraires les plus courts. » raconte Fabien.  « Il y a certains sujets qu’on évite d’aborder dans les routiers, sinon on s’engueule. » lâche Patrick. 

William, 54 ans, tient une petite boîte de transport avec un associé à Belfort. Il roule cinq jours sur sept et allume sa radio dès 6h du matin. Depuis ses 19 ans, il écoute RTL, ce qui en fait sans doute l’un des auditeurs ayant le plus de minutes au compteur. Il est lui très satisfait de sa consommation de média. Son secret, osciller entre actualité, débat et émissions plus longues. Deux émissions lui plaisent particulièrement : Les auditeurs ont la parole « Je me sens concerné et écouté et ça fait du bien. » et les Grosses Têtes, pour la bonne humeur qu’elle apporte. Pour lui, les journalistes, tout autant que les routiers, sont essentiels à la bonne marche du pays et il tient à les remercier pour leur travail. Quand on lui dit que beaucoup de personnes ont du mal avec la profession, il blâme les réseaux sociaux. « J’ai pas Facebook et tout ça, parce que ça rend les gens mauvais. Ils passent leur temps à s’insulter derrière leurs écrans, ils le feraient jamais en vrai. C’est comme ceux qui font des doigts sur la route, jamais ils ne s’arrêtent pour s’expliquer. »

Gary, chauffeur du Royaume-Uni, écoute la BBC en boucle.

Accoudé au comptoir du Moulin de la Barne, les langues se délient. La patronne balance : « tout le monde s’est disputé au moment des retraites. »  Quand on est chauffeur comme Patrick depuis 39 ans, et qu’on roule 120 000 km par an, on a déjà fait 122 fois le tour de la Terre. Pour avoir une retraite à taux plein, il doit encore tirer quelques bornes. Sylvie nous montre de la tête Gary, qui est anglais. Pour lui, la retraite se fera à 69 ans. Pour l’heure, dans sa cabine, c’est la BBC qui tourne sans arrêt. À la télé, l’homme originaire de Nottingham regarde le tennis et le cricket mais s’offusque des sommes injectées dans le sport alors que « des gens dorment à la rue. » Son actu du moment, c’est un scandale sexuel autour du présentateur anglais Huw Edward, qu’il suit dans les moindre détails. En nous montrant sa cabine, il nous explique qu’il dormira dedans ce soir, avant de repartir pour Douvres, au son des informations. 

Sophie Bourlet, Timothée Vinchon et Martin Gallone à la photographie.

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