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Caps et Marais d'Opale (62)

À Rinxent, des retraitées plus actives qu’à la télé

À la ressourcerie Pique et Presse de Rinxent (62), on a croisé une sacrée bande de bénévoles retraitées. Elles nous ont parlé de la vieillesse dans les médias, du décrochage d’internet et de l’importance de rester actives et aidantes.

La caravane des médias commence à avaler les kilomètres. À rouler au milieu des champs chargés de blé des caps et marais d’Opale, on se prend à s’imaginer en road trip permanent, à aller aux quatre coins de la France. Se dire à chaque fois que la campagne est belle et que les médias devraient davantage s’intéresser aux zones rurales et leurs habitant·es. Alors qu’on s’approche de la mer, on change de cap pour s’enfoncer dans une petite zone industrielle de Rinxent (62), où l’on s’affaire.

Dans un énorme hangar, ça trie, ça plie et ça rigole. Nous sommes à la ressourcerie Pique et Presse. L’association, qui existe depuis 1993, était à l’origine un service de couture et repassage par les femmes adhérentes. Aujourd’hui, c’est une ressourcerie qui propose à toutes les habitant·es des communes environnantes, de Wimereux jusqu’à Rety, voir au-delà, de trouver des vêtements donnés et reprisés à bas-coût. Après avoir été accueilli·es par Danaë, responsable de l’animation des lieux, on nous propose d’aller discuter dans l’arrière-boutique avec les bénévoles. On se dit que très vite que ça vaut le coup de discuter de comment les personnes retraitées se sentent représentées dans les médias. Représentant 33 % de la population , ces dernières ne comptent que pour 2 % des personnes présentes dans les médias.

Pas question de s’ennuyer

Tout de suite en arrivant, on croise Christine, 67 ans. Retraitée depuis trois mois, elle s’affaire à ranger des centaines de cintres qui serviront à la mise en valeur des fripes dans la boutique. Elle est bénévole depuis 7 ans. « J’ai arrêté de travailler pour m’occuper des enfants, puis j’ai fait nounou et j’ai encore arrêté pour m’occuper de ma petite fille ». À la retraite, elle n’a pas prévu de se faire dorer la pilule. Quand elle ne s’occupe pas de la maison ou du jardin, elle donne de son temps à deux associations et aide aussi à l’école de son village. Comme beaucoup de femmes de son âge, et comme 9 millions de français, elle est aussi aidante. Elle s’est occupée de son père malade et de sa mère atteinte d’Alzheimer. « La fin de vie, c’est vraiment pas drôle. Ce n’est pas normal que les accompagnants ne soient pas reconnus », déplore-t-elle. 

Marie-Paule, 70 ans, passe de son côté minimum deux journées complètes chaque semaine à Pique et Presse. Retraitée depuis 10 ans – « 1200 euros pour 40 ans de cotisation, vous imaginez » – elle s’amuse de son besoin d’activité : « Tant que j’ai la santé, je suis là. J’étais orthophoniste, assise 40 heures derrière un bureau, donc je me rattrape ». Quand on lui demande si elle se sent représentée en tant que sénior dans les médias, la septuagénaire nous sourit. « À part cette fameuse réforme des retraites, on est un transparents. On ne fait plus partie du monde actif, donc on n’a plus de poids. On en parle pas tellement, sauf des magazines spécialisés, comme Notre Temps », explique-t-elle, disant avoir manqué d’informations sur l’après-travail. 

Alors qu’on s’enfonce encore dans le hangar, on tombe sur les deux Annie, entre les piles de vêtements. Bénévoles invétérées, elles ont tout connu de Pique et Presse. L’une bossait à l’usine et est là depuis 25 ans. La seconde, ancienne auxiliaire en maternité, depuis 23 ans. Une vraie colonne vertébrale d’une société où 10 % des personnes sont engagés bénévolement dans le secteur associatif. Une population dont on parle peu, mais qui donne de son énergie. « Je n’imaginais pas finir ma vie aussi fatiguée physiquement. Vieillir c’est une galère, il faudrait que les médias le dise. » ajoute Annie.

L’EHPAD fait peur

Alors que les pépins physiques s’accumulent, le constat est sans appel : le système de soins se dégrade et partir en maison de retraite est le pire cauchemar de nos seniors. « Avant, ça n’existait pas des médecins indifférents aux problèmes des patients. On sait que ce n’est pas de leur faute dans les hôpitaux, mais aujourd’hui on est des clients, et quand on arrive c’est rentabilité, rentabilité … », se désole Annie. 

Yolande, occupée à trier des chemisiers, tire son chapeau à Victor Castanet, qui a révélé le scandale chez ORPEA. « C’est bien qu’il y ait eu cette grosse enquête sur les EHPAD », explique-t-elle en se disant peu surprise, car sa fille travaille dans une maison de retraite et ne veut surtout pas l’y mettre. « Les gens sont maltraités, j’espère ne jamais y aller ».

Internet et les réseaux, du lien mais des galères

La joyeuse bande de dames nous détaille leurs agendas de ministres. D’une association à une autre, en passant par du yoga, sans oublier d’aider des voisin·es en galère, ou des proches dépendants, elles ne s’arrêtent jamais. C’est que ce lien est important. On se demande si elles ont pris le virage de l’internet.  « Maintenant, tout se fait en ligne. Les impôts, le gaz, l’électricité… on y comprend rien. » s’exclame Annie. Elle ne s’en sert pas trop et ne voit pas ça d’un très bon œil, notamment pour ses petits-enfants : « Les réseaux sociaux, on voit bien que nos petits enfants mais aussi leur parents partagent trop de choses. Ça crée des risques de harcèlement, avant on n’avait pas ça ». Son inséparable amie Annie n’a pas internet à la maison, et pour elle, c’est une bonne excuse : « Moi, je téléphone aux enfants pour qu’ils m’aident. »

C’est Yolande, la plus connectée du groupe, qui nous avoue un petit plaisir coupable. Un de ses enfants lui a installé Facebook il y a quelques années pour qu’elle puisse jouer aux dames avec le monde entier. « J’y vais pour regarder des conneries. Je me marre toute seule parce que les gens racontent leur vie et c’est souvent inutile » rigole-t-elle. Si elle continue de les suivre, elle fait une vraie différence entre ses ami·es virtuel·les et ses vraies ami·es : « Les gens qui comptent vraiment, on les croise en vrai ou on les appelle » Et si le meilleur réseau social, c’est l’association ?

Sophie Bourlet, Timothée Vinchon et Martin Gallone à la photographie.

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