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Bassin minier (62)

Scarpe Sensée, radio bonheur

Depuis plus de 40 ans, une radio associative du Douaisis s’est donné la mission de mettre de bonne humeur ses auditeurs et de faire vivre les passions de ses adhérents.

Au fond d’un banal lotissement, caché entre des pavillons du square Coluche de Vitry-en-Artois, on aperçoit une antenne. Trop proche des habitations pour être la tant redoutée 5G, trop courte pour être un projet secret pour guetter les extraterrestres, elle est quand même l’arme secrète d’une joyeuse bande de zigotos qu’on retrouve dans le gros cabanon à ses pieds : c’est l’émetteur FM de Radio Scarpe Sensée. Hervé, l’un des deux salariés que compte la radio quadra, nous raconte l’aventure alors qu’on grignote des chocolats avec les animateurs bénévoles.

De la variet’ comme nulle part ailleurs

Scarpe Sensée, du nom des deux cours d’eau qui irriguent le grand Douaisis, c’est toute une histoire. À l’origine, du temps où émettre sur la FM c’était le risque d’écouter les conversations de la grande muette et de voir descendre la bleusaille chez soi, ce sont deux copains cibistes amateurs captivés par les ondes qui s’amusent, depuis l’abri de jardin de l’un, à balancer de la musique qu’on n’entend pas sur les grands médias. Depuis Noyelles-sous-Bellonne, à 4 kilomètres de l’antenne à vol d’oiseau, deux heures par jour, ils envoient de la « variet’ ». « De la musique qui fait du bien uniquement ! C’était la radio des Michel, s’amuse Hervé. Sardou, Polnareff, Berger, etc. » Le bonheur est à portée de téléphone : un coup de fil et on passe ton titre. 

Le poste de régie de Radio Scarpe Sensée. © Clémence Leleu

La radio connaît son petit succès et s’installe dans le garage de la mairesse de Vitry-en-Artois de l’époque. Alors que Mitterrand légalise les radios libres, la « radio des Michel » s’établit en tant que radio associative et Radio Loisirs naît officiellement en 1982. « Le choix est vite fait, on n’allait pas faire une radio syndicale ou municipale. Ici, les gens venaient juste pour se faire plaisir, se remémore Hervé, Radio Loisirs, c’était la radio qui crée du lien, celle qui était près des gens lors des ducasses, du téléthon et des lotos. »

Mériter son indépendance et sa liberté

Après quelques années d’existence, l’énergie bénévole commence à s’essouffler. Alors que les radios commerciales s’établissent et arrosent le bassin minier de pubs pour les supermarchés, il faut ruser pour faire vivre une radio de passionnés. « La radio est vieillissante mais un noyau dur reste. C’est une période compliquée. Quand Chirac arrive, le fonds de soutien à l’expression radiophonique est remis en cause… » Celles et ceux qui sont là se retroussent les manches et font des thés dansants ou des lotos pour payer l’électricité. Il faut sortir du garage de Vitry. Ça tombe bien, la mairie ne sait quoi faire d’un ancien local de la régie d’eau municipale. Un franc symbolique plus tard – et des tonnes d’huile de coude des adhérents pour monter et démonter le cabanon sur le terrain de l’association – voilà la radio installée Square Coluche. « Grâce à ça, on  est libre aujourd’hui. Notre liberté, elle a un coût. On paye au chauffage, on paye l’électricité on paye des impôts fonciers, mais si demain c’est une municipalité facho qui arrive ici, ils ne pourront pas nous foutre dehors. »

La radio possède une très importante collection de CDs musicaux. © Clémence Leleu

Hervé arrive en 1995, « en même temps que l’Internet », comme premier salarié. Il a une condition : faire de Radio Loisirs une « vraie radio ». Fini les Michel. « Si on continuait comme ça, ça allait pas devenir pas la Voix du Nord, mais la Voix du Mort. » On investit dans du matériel de reportage, des Nagras. Les premiers ordinateurs arrivent, on fait du montage sur Revox. « Certains qui étaient là pour pousser une cassette s’en vont, mais assez vite, des personnes issus du monde de l’éducation, de l’associatif arrivent avec des idées. » La radio devient Scarpe Sensée, la radio du Grand Douaisis. Adieu les bals, c’est la radio qui fera dorénavant vivre la radio. 

Des artisans du sons

« Aujourd’hui, on est un outil culturel, social et éducatif à finalité radiophonique », explique Hervé, « Quand tu prends un groupe de gosses en IME [Instituts Médico-Éducatifs, des établissements qui accueillent les enfants et adolescents atteints de handicap mental, ndlr] qui vient de faire une émission toutes les semaines , tu ne fais pas qu’une émission de radio ». Les 32 bénévoles remplissent les grilles du 94.1 FM. Jérôme a rejoint Hervé comme salarié en 2000. Lui, c’est un artisan du son. Ils aiment donner à entendre le territoire, de la grenouille dans la mare aux manifestations des salariés du coin. Les deux sont avant tout là pour donner les clés de la création radiophonique aux bénévoles qui arrivent. « Les auditeurs nous disent souvent qu’ils n’imaginaient pas que ce sont des gens dont ce n’est pas le métier qui font tous ces programmes. »

La radio a dépassé les 40 années d’émission sur les ondes de la FM. Grâce à sa quête du bonheur plutôt qu’à l’auditeur, elle continue d’être un refuge et un lieu d’épanouissement pour les curieu•x•ses qui ont vu l’antenne et poussé la porte. Hervé est heureux de ce qu’est devenu sa radio. « Pour que ça fonctionne, il faut que les gens prennent du plaisir. Ici, il y a tant de gens qui se sont épanouis grâce à la radio. Combien regardaient leurs pompes en arrivant. Certains ont retrouvé une vie sociale, d’autres un job, mais tous ont aujourd’hui trouvé une famille. » 

Sophie Bourlet, Clémence Leleu et Timothée Vinchon

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