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Frédéric Alexandre, quand le bassin minier fait son cinéma

Le visage de Janine au milieu des corons dans Visages Villages d’Agnès Varda et JR, c’est lui. La maison d’Adèle à Liévin dans La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, c’est lui aussi. Tout comme les décors liévinois de Je ne vois pas ce qu’on me trouve de Christian Vincent. Lui, c’est Frédéric Alexandre.

Frédéric Alexandre est un enfant du bassin minier qui découvre le cinéma à l’enfance et vit avec lui une passion dévorante qui ne le quittera pas. « Le cinéma et l’audiovisuel, c’est toute ma vie », confie ce petit-fils de mineur, né en 1973, « au début de la fin de la mine ». Frédéric Alexandre est premier assistant réalisateur et repéreur, c’est à dire que c’est lui qui trouve les décors les plus pertinents pour les tournages. Il collectionne aussi les vieilles bobines de films, a une passion pour les archives du bassin minier et a même monté un parc d’attractions itinérant. Mais ça, nous y reviendrons. Parce que pour le moment, on va rembobiner l’histoire.

Nous sommes en 1981, Frédéric a huit ans, et il s’assoit pour la première fois dans un fauteuil confortable du cinéma Top 3 de Liévin. Sur grand écran, il s’apprête à voir un film de Disney et il est loin de savoir que ce moment précis va changer toute sa vie. Aux Disney succèderont SOS Fantômes ou Retour vers le futur et à vrai dire, plus que les films en eux-même c’est surtout ce qu’il se passe dans la petite cabine en surplomb de la salle qui l’intéresse. Alors, rusé, il fait mine à chaque fois de se tromper de chemin pour les toilettes et ouvre soi-disant par mégarde, la porte de la salle de projection. « Au bout d’un moment le projectionniste cède et me fait visiter ! » raconte-t’il, triomphant. Sauf qu’en 86, le Top 3 ferme ses portes, sans grande mobilisation du public. « Si j’avais eu 20 ans, je peux vous dire que je me serais battu pour lui ! », confie Frédéric. Pendant un temps, il n’y aucune salle de cinéma à Liévin, il faut se rendre à Lille ou à Arras pour se faire une toile et ça fait un peu loin. 

Heureux hasards et belles rencontres

Pour la suite de son histoire, que Frédéric tente de compiler en quelques minutes, l’enfant du bassin minier répète souvent que tout ça, cette vie de cinéma, c’est quand même surtout une histoire d’heureux hasards et de belles rencontres. Alors on résume : en 1986 Frédéric est au collège et son professeur de dessin leur fait faire un court-métrage, il découvre le tournage et le montage, l’engrenage est lancé. Trois ans plus tard, une section audiovisuelle ouvre au lycée de Liévin. 8 heures de cours de cinéma par semaine, un coef’ 8 au bac, Frédéric est aux anges. En parallèle, le cinéma café-théâtre Arc-en-ciel ouvre en ville et il décroche un stage de 3 semaines pour découvrir le métier de projectionniste. « En définitive, je suis resté 5 ans ! » Frédéric projette des films tous les samedis soirs, déborde sur les horaires de travail, dévore tous les films à l’affiche et se forge une culture cinématographique en béton. « Je voyais tout. Je ne me rendais pas compte à l’époque que c’était le meilleur apprentissage » 

Il assiste aussi à des conférences, à des colloques, à des rencontres organisées avec les réalisateurs dans la salle de cinéma pour les avant-premières. C’est là qu’il rencontre Bernard-Pierre Donnadieu qui joue dans le film Coup de tête de Jean-Jacques Annaud. « Quand je lui demande comment il a fait pour arriver à faire du cinéma, il me répond une phrase que je n’oublierai jamais : c’est simple, faites des films. Ne perdez pas de temps ». Alors avec l’argent de ses paies, Frédéric achète une petite caméra et fait des portraits d’anciens mineurs, puisqu’il connaît par cœur le bassin et ses habitants.

© Illustration : Sophie Bourlet

Écouter sa passion

Sauf que l’adolescent est un peu perdu : le conseiller d’orientation lui a douché ses espoirs de métiers artistiques, « pas d’avenir ». Alors il ne sait pas quoi faire « Qui croire ? Hé bien j’ai écouté ma passion » : ce sera le cinéma. Et puis toujours, les rencontres. Il croise Christian Vincent, lui dégote tout son décor pour son long-métrage Je ne vois pas ce qu’on me trouve, lui qui cherchait des corons et un lycée dans le bassin minier. Vincent est ravi, il le rappelle quelques temps plus tard pour devenir son stagiaire. Il continue de rencontrer du monde, se rend aux fêtes « où il faut être », ses parents le soutiennent, toujours. La mairie pour laquelle il travaillait ne le reprendra pas après son départ en stage mais qu’importe, il est désormais embauché à droite à gauche et travaille pour Agnès Varda, Christian Vincent, Abdellatif Kechiche ou encore Yolande Moreau.

De stagiaire, il devient troisième assistant réalisateur, puis premier assistant et repéreur. « Quand ça a bien marché, j’avais une sorte de pouvoir. Alors j’ai voulu l’utiliser pour défendre le bassin minier. Je voulais à tout prix faire venir des films à Liévin. » Et ça marche. Il trouve toujours un moyen de faire venir le plateau dans les environs. « Ça fait venir des cinéastes, ça fait tourner l’économie locale le temps du tournage, ça permet d’embaucher des figurants du coin. Et surtout, ça peut être un super déclic pour tous ces jeunes d’ici qui aimeraient être artistes mais à qui on a dit, comme à moi, qu’il ne faut pas rêver trop grand. »

« Ici, il y a des choses qui n’existent pas ailleurs »

Parfois, ça crispe un peu les municipalités, qui préféreraient qu’on mette l’accent sur autre chose que les vieilles briques des corons et les terrils. Sauf que pour Frédéric, il n’y a pas à avoir honte de ce que la mine a laissé comme stigmates. « Le bassin minier, les corons, je trouve ça beau. Il ne faut pas renier le passé, il faut le montrer. Et les réalisateurs ne viennent pas filmer la misère, ils viennent faire des films d’époque et c’est fort de se dire qu’ici, on a réussi à préserver ce passé. Il y a ici des choses qui n’existent pas ailleurs », estime l’artiste qui a travaillé récemment sur la série Germinal de Julien Lilti. « Et puis il y a aussi des films qui s’inscrivent dans l’époque. Et c’est important de les faire venir ici, pour justement ne pas figer le bassin dans le passé. »

En parallèle de son métier d’assistant réalisateur et de repéreur, Frédéric Emmanuel anime des ateliers dans les lycées ou dans les centres sociaux, avec toujours cette idée de « rendre » ce qu’il a reçu. D’être peut-être celui qui redonnera l’envie à un·e jeune, ou lui montrera qu’on peut être originaire du bassin et faire du cinéma. Frédéric collectionne aussi les anciennes bobines de films, fouille, trie, archive et partage le tout sur la page Facebook Archives vidéos sur le bassin minier. Dans ses armoires : 1000 cassettes Betacam, 500 films Super 8, 10 000 heures d’images sur le bassin minier. Son rêve : créer un musée du cinéma et de l’image, « mais quelque chose de vivant, d’interactif ». Sa dernière réalisation ? La création d’un parc d’attractions itinérant où pendant une semaine, il investit une place de village et propose des jeux, trois séances de cinéma en plein air (sur pellicule), un spectacle vivant et un concert. 

Frédéric Emmanuel ne s’arrête jamais, et dans quelques jours il va travailler avec une journaliste qui réalise pour France 2 un film sur les gens du Nord qui sortira en 2023. Il va parler de ses archives et du bassin minier, évidemment. « Je pense que je suis autant attaché à la mine, parce que je lui dois tout. »

Clémence Leleu, Sophie Bourlet et Timothée Vinchon

Une réponse sur « Frédéric Alexandre, quand le bassin minier fait son cinéma »

Bonjour,

Magnifique parcours que celui de Frédéric. Heureux ceux qui peuvent vivre de leur passion.
Existe-il une adresse à laquelle le contacter pour obtenir, au moins son avis, sur un scénario original créé pour la région Nord, Saint Amand Les Eaux et ses environs, plus particulièrement ?
Merci de bien vouloir transmettre, s’il vous plaît.

Michel

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